L’éjaculation féminine demeure un tabou, une zone d’ombre de la sexualité et du fonctionnement de nos propres organes. Méconnue de la médecine occidentale, caricaturée par la mode du « squirt » dans la pornographie mainstream ou encore sacralisée dans certaines régions africaines, l’éjaculation reste un mystère pour les femmes. Toutefois, certaines féministes mènent, depuis des années, un travail de réappropriation et de lutte contre la désinformation autour de ce sujet, notamment à travers des ateliers théoriques et pratiques. A Liège, le premier atelier théorique de ce genre a eu lieu fin juin au sein du PAL, le Pied à l’étrier, un collectif féministe d’auto-santé. Revenons ici sur quelques points fondamentaux pour comprendre l’intérêt de ces pratiques.
Depuis quelques années je parle autour de moi d’éjaculation, et bien souvent je me trouve face à des réactions similaires ; méconnaissance, incrédulité voire dégoût au sujet de ce liquide qui peut couler lors des relations sexuelles. Organiser un atelier dans un cadre safe me parut une bonne image pour justement participer à la création et transmission de savoirs féminins autour de moi. D’ailleurs le but de ces ateliers se concentre souvent sur trois objectifs : l’accès à l’information, la normalisation de l’éjaculation et surtout revendiquer une vision politique du « personnel » dans la continuité du travail féministe pour reconquérir l’espace public et les savoirs.
Les ateliers jouent « un rôle essentiel dans la sortie de l’espace privé, du placard, de la sexualité domestique des femmes et des minorités sexuelles. […] Ils participent de la création et de la transmission de savoirs/pouvoirs différents, de la création et de la transmission de cultures sexuelles et de genres différents, de la production de corps différents et de ces « nouvelles possibilités de plaisir utilisant certaines parties bizarres du corps. » La nécessité de transmission de savoirs et des pouvoirs est d’autant plus nécessaire dans le contexte du mutisme qui entoure l’éjaculation féminine dans l’espace public et notamment dans la sphère médicale, où les sécrétions féminines pendant la stimulation sexuelle sont largement entendues comme dysfonctionnement, voire comme des pathologies.
Ce contexte n’est nullement un hasard, comme l’affirme Diana Torres dans son ouvrage Coño Potens, duquel je me suis fortement inspirée pour l’atelier et pour cet article : « depuis des siècles, la science médicale a été un des principaux ennemis du corps et de la sexualité des femmes, en passant sous silence réalités anatomiques et rendant pathologique tout ce qui ne correspond pas aux paramètres de la phallocratie, de l’hétérosexualité et des rôles binaires du genre. » Pour rappel la négation de réalités anatomiques inclut non seulement le clitoris qu’on a vu pour la première fois il y a peu sous forme de modèle 3D, mais aussi le mépris de la prostate féminine, fortement liée à l’éjaculation.
Le silence qui mutile et limite la sexualité féminine !
La désinformation des femmes, mais aussi celle du personnel médical, a des conséquences néfastes sur la santé féminine, et pas seulement sexuelle. L’auteure espagnole relève dans son ouvrage des cas de femmes à qui on a retiré la prostate après une consultation médicale autour de ses expulsions liquides lors des rapports sexuels. Ces cas, certes extrêmes, vont de pair avec d’autres expériences traumatisantes que vivent les femmes qui ont naturellement des éjaculations : la criminalisation de leurs fluides par les docteurs, les accusations de « pisser » sur leur partenaire ou encore la culpabilisation de mouiller leurs lits. Une partie de ces femmes finit par sombrer dans le désespoir et se retenir de leur propre plaisir pour ne pas « déranger ». D’autres décident de s’exprimer publiquement et de revendiquer l’éjaculation, comme Déborah Sundhal ou Diana Torres en proposant des ateliers pour informer celles qui jouissent à flot et celles qui veulent tenter l’expérience.
En parallèle, la médecine occidentale n’a pas vraiment aidé ces femmes à mieux se sentir avec leurs flux. Les chercheurs se sont penchés sur la physiologie de l’éjaculation féminine, notamment influencés par le « boom » pornographique et la libération de la parole à ce sujet. Les études se centrent notamment sur la composition et la trajectoire du liquide arrosé par des « femmes fontaines » et sont infestées de terminologie et de conclusions méprisantes, voire révoltantes. Prenons l’exemple du travail de Caroline Meauxsoone-Lesaffre qui affirme que « la prostate féminine ne serait qu’un abus de langage » ou encore « l’existence d’une perte d’urine modifiée et diluée, ce qui est confirmé par l’expérience faite en laboratoire et par d’autres chercheurs, avec des quantités importantes sortant par l’urètre. » Dysfonctionnement, incontinence et anormalité demeurent le mot d’ordre de la médecine occidentale. De quoi se déprimer encore plus quand cela vous arrive.
La réappropriation de nos fluides.
Face à la pathologisation de l’éjaculation, Diana Torres s’efforce dans son ouvrage de démentir la vision médicale par le biais d’expérimentations simples mais efficaces qu’elle a elle-même conçues. Elle estime important de prouver qu’il ne s’agit pas de pipi mais d’un fluide bien différent et très politiquement incorrect. Avec l’aide d’instruments rudimentaires et de beaucoup d’imagination, elle a scruté ses propres fluides pour les différencier de l’urine : des expériences avec des aliments colorant l’urine, des test avec des draps de lit colorés, etc. L’objectif n’est pas seulement de contredire la science, qu’elle trouve contaminée par une “vision hétérocentrisme, phallocratique et pudibonde”, mais aussi de revendiquer l’universalité de l’éjaculation chez les femmes et de mettre en lumière cette facette de la sexualité féminine. Vu la méconnaissance actuelle en Occident, les ateliers d’éjaculation se présentent comme des formations à la sexualité. Deborah Sundhal parle de service public rendu à la société car « tu ne peux pas apprendre ceci à l’école, ni chez le médecin, ou autre, donc comment pouvons-nous apprendre ceci ? C’est un service public ».
A l’extrême du mutisme européen se trouve la tradition du Kunyaza au Rwanda, abordé par Olivier Jourdan dans son reportage « L’eau sacrée ». Dans ces contrées, l’éjaculation est ancrée dans leurs légendes, dans leur pratique quotidienne et elle attire une attention centrale dans les relations de couple. Au même titre qu’en Occident les femmes sont pathologisées, mais cette fois-ci elles sont médicalisées lorsqu’elles ne déversent pas l’eau sacrée, ayant rempli le lac kivu selon la légende. L’absence du fluide remet en cause la femme ainsi que la fierté de son compagnon.
Au final, tant dans la culture occidentale que rwandaise la sexualité féminine est médicalisée et subit la pressions sociale de façons diverses. Quoi qu’il en soit, le contrôle de la sexualité féminine demeure un point d’inflexion dans la plupart des sociétés patriarcales. Toutefois, le reportage de Jourdan apporte quand même un éclairage sur les techniques utilisées par les hommes rwandais pour provoquer le jaillissement chez leurs femmes. Le film confirme aussi la lecture politique de Diana J. Torres, qui affirme que “toutes les femmes avec chatte peuvent éjaculer” et la culture joue un rôle central dans la compréhension de notre propre corps et de notre sexualité.
Petite guide éjaculatoire
Face à ces contraintes culturelles et afin de ne pas tomber dans la caricature de la pornographie actuelle, il faut nourrir le collectif d’expériences féminines, des techniques, des approches théoriques féministes pour éveiller les envies et faire couler les eaux du plaisir ! Alors comment ça marche ? L’éjaculation se produit principalement via la stimulation de notre prostate, cette dernière se situe à environ deux centimètres de l’entrée du vagin du côté de l’urètre. La première chose à faire est de repérer cet endroit avec l’aide de nos doigts (la pulpe du doigt doit regarder vers le pubis), dans la paroi antérieure du vagin vous pouvez sentir une zone plus rugueuse, plus sensible et qui ne se contracte pas avec le reste du vagin quand vous essayez de resserrer (voir l’illustration). Et là, c’est votre prostate ! (longtemps appelé point G ou point de Gräfenberg – oui, encore une fois le nom d’un monsieur pour nommer nos organes – alors qu’il s’agit d’une prostate avec les mêmes caractéristiques et forme que dans le corps masculin). Une fois que nous avons repéré notre prostate, on peut passer à l’action, en solo ou accompagné.e d’un partenaire à qui on fait entièrement confiance. La technique la plus répandue pour provoquer l’éjaculation est le mouvement de l’appel avec les doigts (voir les merveilleuses illustrations du bouquin de Diana Torres).
La pression et la stimulation continuelle de la prostate, d’abord doucement, puis un peu plus fort en augmentant la vitesse, remplit la prostate du précieux liquide et au moment du climax il se produit une sorte de sensation, que nous avons sûrement déjà ressenti, qui ressemble à une envie soudaine de faire pipi. A cet instant précis il faut lâcher prise et pousser, donner ainsi libre cours à l’eau pour jaillir ! L’éjaculation peut être accompagnée d’un intense orgasme ou au moins d’une sensation très plaisante. Toute la “difficulté” de l’éjaculation réside dans le laisser aller et le fait de passer outre l’impression d’uriner, de ne pas nous arrêter à ce point et d’expulser le liquide. Il ne s’agit pas d’urine ! et une fois qu’on l’a ressenti une première fois on constate que ni le liquide expulsé, ni la sensation et ni la forme de l’expulsion de ce liquide ressemblent à celui de l’urine. Évidemment, la proximité de la prostate avec l’urètre et avec les canaux para-urétraux peuvent produire des sensations semblables mais qu’on peut facilement reconnaître avec la pratique.
Rappelez-vous qu’au même titre que chez l’homme, l’urètre se ferme lors des rapports sexuels. Pour faciliter la tâche du lâcher prise, on conseille souvent de mettre des essuis en dessous pour éviter les inondations et ne pas devoir s’inquiéter ; de boire de l’eau avant la stimulation et de résoudre tout inconvénient qui peut vous préoccuper pendant l’acte. Le but est de créer une ambiance propice au déblocage mental du « je vais me pisser dessus ». Si vous avez envie : testez, cherchez et aimez ce processus de reconnaissance de soi. Si vous y arrivez tant mieux, sinon vous pouvez encore essayer ou tout simplement en discuter auprès de vous pour rompre à jamais ce tabou de l’invisibilité de l’éjaculation féminin.