cropped-icone-batarde-3-1.png

Épisode 2 : Le contrôle du corps gestant

La période de la grossesse a été marquée pour beaucoup d’entre nous par une phase de contrôle total sur notre corps ; que ce soit le contrôle de nous-même, des médecins, de notre entourage et/ou de la société. L’étude récemment menée par l’association belge « Corps écrits » sur la « Stigmatisation de la maternité dans une société néolibérale » recueille la parole d’une femme qui affirme : « Si tu es enceinte, tu ne t’appartiens plus ! » Les premiers rendez-vous chez le médecin sont une série d’interdictions : pas d’alcool, pas de cigarette, pas de médicament, pas trop de sucre, pas de viande, ni de poisson cru… Une longue liste de risques suit ces interdictions. Ces premiers moments sont remplis de peurs. Parfois l’incompréhension fait face à la méconnaissance de toutes ces règles et ces dangers. Mais il y a aussi un certain non-conformisme dans cette phase durant laquelle certaines femmes envoient balader leur gynécologue à cause de leur contrôle excessif sur telle ou telle contre-indication. Cela peut créer énormément de frustrations, et surtout une sensation d’insécurité chez les primipares (qui accouchent pour la première fois).  

Enceinte de mon premier enfant, à cheval entre la Belgique, la Tunisie et l’Espagne, moi, Marta, ai dû faire face à ma propre ignorance de la question (ce qui n’a pas été facile) : « Lors d’une de mes premières visites chez un gynécologue francophone, je n’ai presque rien compris ! Je ne connaissais pas du tout le vocabulaire qui entoure la grossesse, ni en espagnol ni en français, donc j’étais dans  l’incompréhension totale. Cela a été vraiment violent car j’étais censée faire ou ne pas faire certaines choses… J’ai dû apprendre en très peu de temps beaucoup de mots, des concepts, etc. Je me suis familiarisée avec le vocabulaire biologique lié au corps de la femme et à la croissance du bébé. Cela peut paraître bête, mais la grossesse était déjà un nouveau truc auquel s’ajoutait l’incapacité de nommer, de m’exprimer, surtout de formuler des craintes, et de comprendre ce qu’on attendait de moi – j’avais tout le temps l’impression qu’on attendait plein de choses de moi. » 

Les changements corporels : le poids, le poids et encore le poids

Lors de cette découverte d’un nouveau monde rempli de contraintes, le suivi médical peut être rassurant lors des pertes de sang, des symptômes trop forts ou de maladies. Mais il peut aussi devenir étouffant et devenir source d’angoisses, notamment par rapport à un des sujets récurrents de nos témoignages : la prise de poids ! À peu près toutes les femmes ont eu droit à des commentaires dans le milieu médical – et en dehors aussi. Le contrôle mensuel de la prise de poids impose un calvaire aux femmes. On vient leur « taper sur les doigts » parce qu’elles ont grossi plus que ce qu’autorisent les « courbes médicales » ; courbes qui ne tiennent pourtant compte ni de la physionomie, ni de l’alimentation de la personne enceinte. Pour Malika, maman d’un enfant en France, la réaction de sa médecin vis-à-vis de sa prise de poids a été disproportionnée :

« Dans l’ensemble, j’ai vécu une belle grossesse : je me sentais assez épanouie et outre quelques désagréments (brûlures d’estomac, douleurs sciatiques, mise sous tension notamment), j’étais bien. J’ai vécu comme violente la façon dont ma gynécologue contrôlait ma prise de poids. Elle a affirmé plusieurs fois qu’une grossesse, c’était 1 kg par mois, donc qu’au-delà de 10 kg, c’était problématique. Au début, je n’ai rien pris. Puis j’ai pris 2 kg par mois en moyenne pour arriver à 13 ou 14 kg… À chaque fois, j’angoissais au moment de la pesée parce que je savais qu’elle allait me faire des remarques : « Il va falloir se reprendre » ; « Oulah, que s’est-il passé ? » ; « Que pouvez-vous limiter dans votre alimentation ? » Je trouvais que ce contrôle, presque obsessionnel, était violent parce que je ne me sentais pas mal et trouvais, personnellement, ma prise de poids tout à fait raisonnable. Il n’empêche qu’elle m’a conseillé de boire une tisane quand j’avais faim ou de croquer dans une pomme plutôt que dans un biscuit. »

Flore, mère de deux enfants en France, a aussi eu droit au même « flicage » de la part de son médecin, qui a fini par lui conseiller de ne plus manger ! Mais les violences outrepassent le milieu médical. La société, incarnée dans le badaud, l’inconnu.e, se mêle aussi du corps de la femme enceinte, parfois de façon sournoise.

« J’ai pris beaucoup de poids lors de mes grossesses (27 kg et 25 kg). Le premier gynécologue que j’ai vu pour ma première grossesse m’a rapidement expliqué qu’il fallait que je ne mange rien le soir si je ne voulais pas finir par ressembler à une baleine… Selon lui, j’avais déjà des « réserves » pour le bébé, et ne pas me nourrir devait me faire du bien ! Des passants dans la rue m’arrêtaient régulièrement pour me demander pour quand était l’accouchement (c’est drôle d’ailleurs qu’on parle du terme de la grossesse et moins souvent de la naissance du bébé… Bref !) et comme j’avais beaucoup de ventre très tôt, l’échéance était souvent plusieurs mois plus tard. On me dévisageait d’un air réprobateur en m’expliquant que ce n’était pas normal d’être si grosse. Un homme m’a accostée dans le train (alors que je lisais un livre avec mes écouteurs dans les oreilles en prime) pour me demander combien il y avait de bébés à l’intérieur… Quand je lui ai répondu « un seul, en pleine forme » (histoire d’essayer de le faire taire de manière humoristique et polie) il a dit que mon mari avait dû en ajouter deux ou trois de plus sans que je ne m’en aperçoive… Tout ça c’est pour l’extérieur, les inconnus. C’est assez blessant, des petites phrases, des regards qui en disent long et qui, pendant neuf mois, étiolent l’estime de soi. Parce qu’évidemment, c’est la mère le problème ! Mon compagnon avait du mal à comprendre mes humeurs hormonales et me demandait régulièrement de faire un effort, pour rester au maximum « constante »… Aucune réflexion par contre vis-à-vis de mon corps qui s’arrondissait de toute part, et heureusement ! »

Dans une société obsédée par la maigreur, ces réflexions sont facilement considérées comme justifiées sous la bannière de la santé et des complications liées à la prise de poids. Il suffit d’aller lire des articles sur le sentiment de culpabilité chez les femmes enceintes pour se rendre compte que même quand les femmes osent critiquer cette attitude du milieu médical, elles sont tout de suite reprises par « l’expert de service » afin de mettre les « les points sur les i » ;  au nom d’une santé publique qui nous oblige à avoir une conduite irréprochable pour exister. La santé mentale des femmes a tendance à être oubliée devant la mise en avant du « péril » (le danger de mort de l’enfant ou de la mère dont en parle longuement dans la partie sur les violences lors de l’accouchement). Il semble socialement et médicalement préférable de gronder une femme et de la faire se sentir coupable, plutôt que de la « laisser » prendre quelques kilos. Tout cela résonne comme un paradoxe puisque lorsqu’il s’agit de consommer de l’alcool ou de fumer des cigarettes, certains gynécologues préfèrent « laisser » les femmes enceintes fumer plutôt que de mettre en danger la grossesse à cause du stress lié à l’arrêt.

La culpabilité m’a toujours paru l’une des pires violences que j’ai subies pendant la grossesse, qu’elle soit liée à ma prise de poids (en étant à la base déjà grosse, vous pouvez vous faire une idée des commentaires du genre « avec toute cette graisse on va avoir du mal à voir à travers le bébé » ou encore  « pouvez-vous soulever tout ça ? »), au fait d’être expatriée ou encore au fait de fumer. Voici une des expériences qui m’a le plus traumatisée jusqu’à aujourd’hui (et qui vient d’une personne avec qui je n’ai plus beaucoup de relations) : « On était dans un bar en train de prendre un verre vers 20h, je buvais un café tandis que mes amis se bourraient la gueule. J’ai allumé une cigarette, la troisième de la journée. Un de mes amis d’enfance, avec qui je n’ai presque plus de relation, m’a regardé avec un air réprobateur et il m’a sorti : « Lorsque ton bébé sera né et qu’il aura des problèmes respiratoires, tu vas le regretter. » J’ai été très choquée de sa façon de me parler et de se mêler de ma vie sans aucune honte. Je m’en suis voulue toute ma grossesse de fumer. Je me contrôlais en fumant maximum cinq cigarettes par jour alors que j’étais une grosse fumeuse. Effectivement, mon fils a eu une maladie pulmonaire pendant les premières années de sa vie, je vous laisse imaginer combien j’ai souffert de tout ça. La culpabilité est pour moi l’une des violences que j’ai le plus fortement ressenties. » Quoi qu’il en soit, je me suis moi-même surprise à faire des commentaires sur tel ou tel comportement d’une femme enceinte et je me suis dégoutée d’avoir reproduit ce schéma qui permet à la société de s’immiscer dans les choix et le corps d’une personne, pour la seule raison qu’elle attend un enfant.

Bien au-delà du supportable

Parfois ce contrôle médical lors de la grossesse devient violent et insupportable jusqu’au point où certaines femmes voient leurs droits bafoués. Cela peut devenir du contrôle corporel majeur dans des situations atypiques : des femmes en situation irrégulière, des femmes mineures, des femmes ayant eu auparavant des grossesses à risque. Pour Fatoumata, mère de deux enfants guinéenne, la période de grossesse dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile a parfois été difficile, notamment du fait que sa souffrance n’était pas écoutée : « Au centre d’asile, j’avais vraiment très mal, je suis venue demander qu’on me donne quelque chose pour la douleur, les infirmières ont refusé. « Tu n’as qu’à attendre qu’on finisse la réunion. » Ce n’est qu’après deux heures que j’ai pu prendre un médicament. » Elle affirme avoir eu plus de chance en milieu hospitalier où elle a été vraiment « chouchoutée » par la gynécologue et l’équipe pendant l’opération d’une hernie qu’elle a dû subir avant l’accouchement. Lorsque les femmes se trouvent « sous tutelle » d’une administration, les violences peuvent vraiment se multiplier. Anne, mère de trois enfants en Belgique, a vécu comme une violence son placement judiciaire parce qu’elle était mineure : « J’ai accouché de mon premier enfant le 30 avril 2000. Ça a été une grossesse difficile sur le plan psychologique dans la mesure où j’étais mineure et j’ai donc fait l’objet d’un placement par le juge durant la deuxième partie de ma grossesse. J’ai choisi d’être enceinte. Je me sentais prête pour cela. Tu imagines bien que la société tout entière se sentait légitime pour m’enlever ce choix… Ce que je peux comprendre aussi, dans un sens… »

Autre situation spécifique : lorsqu’une femme a déjà eu un enfant avec des particularités, les médecins poussent au sur-contrôle la grossesse suivante. Pour Marie, déjà mère de Pierre, les premiers rendez-vous avec le médecin pour sa deuxième grossesse ont été marqués par une statistique : une chance sur deux que sa fille soit aussi porteuse de la particularité de Pierre. « Cela a été très difficile, savoir qu’on peut avoir deux enfants avec des nécessités particulières, c’est beaucoup ». La question de l’IVG s’est aussi posée, ce qui fut très violent dans le cadre d’une grossesse désirée, voire « sauveuse », selon Marie. Elle était alors dans un des moments les plus durs de sa vie en attendant l’annonce des résultats de l’origine des particularités de Pierre. Finalement, sa fille n’était pas porteuse et sa grossesse s’est super bien passée : « On m’a foutu la paix, s’exclame Marie. Tout était plus simple cette fois, j’étais beaucoup plus sûre de moi. »

Ana, maman de deux enfants en Belgique, a été confrontée à des violences gynécologiques lors d’un rendez-vous de contrôle de la grossesse dans son pays d’origine, la Croatie : « J’ai subi une ablation de polype à vif durant le début de grossesse, en Croatie. Disons que faire ça à ce moment, c’était dangereux. Je saignais tout le temps. Ça se fait en temps normal, mais il faut quand même prévenir la patiente. Moi c’était lors de l’examen de routine, il m’a dit : “On va vite vous enlever quelque chose et l’infirmière me tenait.” Ça fait super mal… Ça s’est fait tellement vite. Et puis, « enlever quelque chose »… Je ne m’attendais pas à ça ! J’ai hurlé. L’infirmière m’a dit de me taire car tout le monde allait m’entendre – vieille mentalité croate, faire attention à ce que les autres pensent et disent. » 

Pour sa deuxième grossesse, en Belgique, elle est confrontée à un autre type de violence, à nouveau d’un gynécologue : « J’étais enceinte de mon deuxième enfant, le gynécologue est vraiment bon. Il m’a déjà opérée du col de l’utérus. Un pro. Bref, vers la fin de grossesse je lui dis que je vais prendre une chambre commune. Et là, catastrophe. Il se met en colère, limite me gueule dessus (pas à ce point, mais il a bien haussé la voix très énervé). En me disant que ce n’est pas normal car lui il ne reçoit que 50 € si j’accouche la nuit, alors qu’il reçoit bien plus si je prends chambre seule, que ce n’est pas normal que les gens ne se rendent pas compte des priorités de la vie. On n’accouche pas dix fois dans sa vie, c’est super important, il faut être bien. Que les gens s’achètent des gsm à 500-1000 € mais ne savent pas mettre de l’argent pour un accouchement ! Évidemment tout le monde sait à quel point j’aime le luxe – note Ana sur le ton de l’ironie – et que si je veux accoucher dans un autre hôpital (CHU), je serai prise en charge par des assistants… Que c’est risqué… blablabla. Bref, j’ai accouché avec une assistante du CHU et elle a été top. » Le système de santé semi-privé belge permet ces aberrations qui seraient impossibles dans un pays comme l’Espagne où la santé publique est complètement gratuite, et les médecins directement payés par l’État. Toutefois, d’autres violences liées aux coupes budgétaires, étendues partout en Europe, ne jouent pas en faveur d’une prise en charge décente des femmes pendant leur grossesse et plus tard pendant l’accouchement.

Petites violences de grande proximité

Ne pas aimer être en enceinte, trouver violent ces changements du corps, détester la sensation du ventre, en avoir marre de se cogner le bide partout, se trouver grosse tout le temps, ne pas arriver à attacher ses propres chaussures… Nombre de violences quotidiennes liées à la grossesse sont rarement évoquées. Lorsqu’on en parle, on a tendance à banaliser les sentiments des femmes avec des phrases du type : « C’est rien, ça va passer, c’est normal, tu as de la chance… » Pourtant, cela peut être vécu très violemment tout au long du processus, comme ce fut le cas de Juliette, mère d’un enfant en Belgique : « Pour la grossesse, je n’ai pas grand-chose à dire. Même si j’ai détesté être enceinte, et que je trouvais assez violent le rapport que j’avais à mon propre corps (qui n’a jamais été bon). Mais la grossesse s’est plutôt bien déroulée. J’ai adoré le suivi de ma gynéco, chez qui je vais depuis mes seize ans. Elle était présente, ouverte, répondait très bien aux questions, me gardait tout le temps nécessaire lors des consultations (même si ça devait durer longtemps), me donnait beaucoup d’informations sans être culpabilisante, était douce dans ses manipulations et à l’écoute de mes besoins, et, surtout, faisait tout ça avec humour (ce qui avait le don de me détendre). » Pour elle, le milieu médical a été une sorte de soulagement, grâce à l’attitude de sa gynécologue qui a pris le temps et les mesures nécessaires pour apaiser les tensions. Toutefois, ce témoignage montre l’interdit social qui consiste à mal parler de sa grossesse. Les femmes « doivent » aimer « leur pouvoir de procréation » car d’autres ne peuvent pas, car c’est beau… Moi, « j’avais pourtant l’impression d’avoir un alien à l’intérieur qui contrôlait beaucoup de choses de ma vie de tous les jours, qui m’étouffait en fin de grossesse, qui me faisait aller pisser chaque 15 minute ou encore qui me faisait me sentir affamée toute la journée ». La société prend très à la légère le mal-être de certaines femmes qui souffrent de leur rapport à leur corps, aux changements et surtout au contrôle social sur ce qu’il nous est permis de ressentir ou pas.

Bien que ce contrôle social soit parfois pesant, à l’opposé, l’insouciance totale peut aussi être accablante. Il s’agit d’une forme de passivité qui peut être ressentie comme violente pour certaines femmes comme Caroline, mère d’un enfant en Belgique : « Pendant la grossesse, la violence se situait surtout selon moi dans le comportement des gens. En fin de grossesse j’ai plusieurs fois été blessée par le manque d’empathie ou d’égard des gens. Personne pour me laisser une place dans le bus, pour me laisser passer alors que je suis à la limite de m’effondrer, des collègues qui n’envisagent pas que monter trois étages enceinte c’est difficile. Rien de méchant, jamais, mais une passivité ressentie comme violente. » En fait, dans les récits de ces femmes, peu d’entre elles parlent des violences subies au sein du cercle proche, de la famille, ou même au sein du couple. Pourtant, les belles-mères trop invasives, la cousine contrôlante ou la maman qui ne fait pas toujours attention à ses paroles existent bel et bien ! Toute une série de micro-violences qui s’accumulent au fil des mois de grossesse… puis de maternité (mais c’est un autre chapitre).

Un des tabous majeurs est la violence à l’intérieur du couple. Je ne parle pas ici de maltraitance – ce qui relève d’un crime puni par la loi – mais de commentaires, de gestes peu agréables et une forte incompréhension, voire du manque de tact ou de patience. Je me rappelle avoir été blessée, sans vraiment pouvoir en parler. Au sein du couple, une de ces violences est l’absence de sexe dûe aux craintes des parents que quelque chose arrive à leur rejeton. Ceci peut être vécu comme une forte violence pour certaines femmes, comme Malika, mère d’un enfant en France, qui raconte : « Finalement, dès que mon ventre a été fort visible (vers 6 mois environ), nos rapports sexuels se sont fortement espacés avec mon compagnon. Je pense qu’il vivait assez mal mes changements corporels et l’existence de ce ventre arrondi porteur d’un bébé… C’était assez difficile à vivre moralement. » Caroline, maman d’un enfant en Belgique, était rassurée sur le fait d’avoir des rapports sexuels sans problème tandis que son mari restait très hésitant : « Il avait des craintes, et assez tôt dans la grossesse (j’ai rapidement eu un gros ventre, ce qui ne lui facilitait pas les choses). Moi pas trop, le gynécologue avait été super rassurant (enfin, pas pour tout le monde visiblement !). Je pense que les deux ou trois derniers mois, c’était hors de question. »

Ce manque de sexe contraste avec l’envie de certaines femmes enceintes d’avoir des rapports, liée parfois à des sentiments d’abandon, de remise en question voire de culpabilité. Une femme qui tient à garder son anonymat sur cette question raconte son expérience atypique de rapports hors couple pendant la grossesse : « J’étais séparée du papa et la grossesse m’empêchait (moralement ?) d’avoir des rapports ailleurs qu’avec le papa. Ce blocage a été déchiré par une envie, pressante et puissante d’avoir des rapports sexuels, en-dehors de toute relation de couple – ce n’était pas possible pour moi. J’ai fini par trouver une personne avec qui partager des moments intimes, dans le cadre d’une amitié, sans liens amoureux. Il a été doux et attentif sans être une présence sur laquelle s’appuyer dans les bouleversements qui surviennent pendant la grossesse. J’ai tenu à ce que personne ne soit au courant de cette relation. J’en avais honte. Et j’avais peur. Une nuit après le sexe j’ai saigné, je me suis torturée mentalement toute la nuit. Je culpabilisais. Je me disais que s’il arrivait quelque chose au bébé, c’était de ma faute car j’avais couché avec quelqu’un. Finalement rien n’est arrivé. J’ai été soulagée mais la culpabilité n’a jamais disparu. »

La désexualisation de la femme se produit très souvent dès que les signes de grossesse se font très présents. Pourtant, depuis quelques années, certaines femmes revendiquent le rapprochement de la grossesse et de l’accouchement avec la sexualité, notamment à travers les accouchements orgasmiques. Sans aller si loin, les recommandations des médecins vont aussi dans le sens de mener une vie sexuelle active en fonction des envies. Ils ou elles mettant en avant l’importance de l’ocytocine, hormone de l’amour et de l’accouchement, qui est libérée pendant l’orgasme de la femme, pouvant aider à déclencher l’accouchement. Or, on constate que la sexualité dans l’imaginaire des couples demeure une vision de l’acte sexuel centré sur la pénétration – ce qui peut faire craindre une certaine proximité avec le bébé. Toutefois, des relations sexuelles sans pénétration peuvent être tout aussi satisfaisantes pour les femmes souhaitant avoir une vie sexuelle active pendant la grossesse et nous permettent de sortir du schéma phallocentré de la sexualité. D’ailleurs, l’étude de Doucet-Jeffray « Quelle sexualité pour les hommes pendant la grossesse ? » tend à confirmer la difficulté des hommes à découvrir d’autres formes de sexualité. Les chercheurs abordent dans l’article la profusion de pratiques de « substitution » pendant la grossesse : la pratique des câlins arrive en premier lieu, suivie de la pratique de la masturbation personnelle et beaucoup plus loin de la masturbation du ou de la partenaire, puis le cunnilingus. 

Le contrôle demeure finalement très invasif pour le corps et la vie des femmes enceintes : de la sexualité au choix du lieu de l’accouchement en passant par le contrôle de ses comportements vis-à-vis des interdits et des changements de son corps. Toutefois, la plupart des femmes concentrent leurs craintes et leurs récits de violence sur celles qu’elles ont vécues pendant l’accouchement, le moment clé pour beaucoup d’entre elles. La peur de ces violences obstétricales s’installe bien avant l’accouchement, notamment via la prise de conscience par la médiatisation croissante de ces sujets et par le fait que d’autres femmes partagent leurs expériences – celles qui contournent le récit de l’émerveillement total et de l’oubli de la douleur. Face à cette peur de la violence, beaucoup de femmes se préparent à l’accouchement, elles prennent en main ce passage de leur vie, ou du moins elles essayent. 


Introduction « Enfanter dans les violences »

Série 1 : « De l’envie d’enfanter (ou pas) au fait accompli… »

Épisode 1 « Quand le(s) passé(s) s’invite(nt) dans la grossesse« 

Épisode 2 « Le contrôle du corps gestant »

Épisode 3 « Se préparer à l’accouchement. Contourner les violences ? »

Série 2 : Donner naissance comme expérience violente

Épisode 4 : L’écoute des femmes, ce grand oubli de l’accouchement

Épisode 5 : « Ces femmes (et enfants) qui seraient mort.e.s en couche sans la médecine moderne »

Épisode 6 : Les violences obstétricales comme problème public : quelles réponses politiques ?

Série 3 : La grande (lourde et heureuse ?) délivrance

Épisode 7 : Le post-partum, la violence des séquelles de l’accouchement

Épisode 8 : La violence, c’est nous… mais surtout les autres !

On ne conclut jamais un sujet pareil !

Lire plus