Safe space sexe. Google France commence par me lister des articles sur le sexe dans l’espace. Émoustillant, mais hors de propos. Quoique ? Safe space sexualité. Je poursuis ma recherche et navigue entre violences et harcèlement sexuel. Dans la sexualité, le safe space serait alors une réaction à l’agression, une nécessité pour se protéger des attaques extérieures et créer un espace sécurisant dans lequel chacun.e peut s’exprimer en toute liberté, sans jugement. Je quitte Google.
Établir un lieu, physique ou psychologique, bienveillant pour tous.tes pour tout ce qui concerne la sexualité et l’intimité n’est toujours pas considéré comme un apprentissage obligatoire. Dire que l’on peine à transmettre une éducation à la sexualité de qualité est un euphémisme. Si les nouvelles générations commencent à intégrer la prévention contre les MST (même si les chiffres sont flippants : 9 Belges sur 10 estiment ne pas être concernés par le risque de “contracter” une IST. Les cas de chlamydia ont quadruplé entre 2003 et 2015. 1/3 des Belges ignore que les IST se transmettent lors d’un rapport sexuel non protégé. 57% des jeunes Belges ignorent que le sexe oral est l’un des modes de transmission des IST et du SIDA), le relationnel et la communication font rarement partie du programme. Et vu le nombre de campagnes de prévention sur le consentement depuis l’année dernière, la base ne semble même pas acquise.
Je ne fais pas exception. J’ai avancé à tâtons, sans toujours savoir ce que je faisais, si cela convenait à l’autre, si cela me convenait à moi aussi. J’ai subi. J’ai souffert. J’ai affronté des traumas. Je me suis relevée. J’ai pris du plaisir. J’ai appris en autodidacte à formuler un oui, et un non. Cela vient de mes rencontres, qui m’ont apporté des outils pour mieux réagir et être épanouie. Parce que le sexe – entendu dans un sens très large et n’impliquant pas forcément du génital – est bon lorsqu’il est partagé entre personnes consentantes, à l’écoute et libres.
Sur ma route, j’ai croisé Tigrou. L’exploration de sa sexualité a commencé à 15 ans. Il n’a pas de souvenir où il ne se serait pas senti en sécurité dans ses relations, à deux ou à plusieurs, tous genres confondus. À 30 ans, il a déjà découvert les soirées horizontales (qu’on appelle plus communément « orgies »), le libertinage, le shibari ou encore le BDSM. Tigrou n’est pas monogame, cela signifie qu’il peut entretenir plusieurs relations en même temps. Tigrou parle beaucoup d’amour et de confiance. Pour chaque pratique, les règles sont posées à chaque fois.
« J’ai participé pour la première fois à une soirée type orgie dans une coloc de polyamoureux [ces soirées ne sont pas l’apanage des polyamoureux.ses, et tous les polyamoureux.ses ne participent pas à des horizontales, ndla]. Cela ne signifie pas forcément qu’il y a du génital. » Invité par une amie, avant de pouvoir participer, il a dû passer un entretien avec les quatre colocataires. « Je faisais de l’hypnose érotique [de la sexualité sous hypnose, ndla]. Un coloc était curieux. Je lui ai montré. J’ai passé le test. » 20 personnes, mixtes, se retrouvent. Chacun.e apporte de quoi manger. Pas d’alcool, pas de drogue, pas de musique forte, pas de lumière éteinte, pas de cercle de parole. Tigrou n’a pas de mal à se laisser aller. « En tant que mec, c’est plus facile, dit-il. Je me sens fort physiquement si j’ai besoin de me défendre. »
Depuis deux ans, il réalise que ses relations s’autorisent une plus grande liberté sexuelle et sentimentale avec lui, parce qu’il arrive à les faire se sentir plus en sécurité. Sans doute parce qu’il parvient à créer un espace dans lequel ses partenaires ont conscience que la communication verbale est respectée.
Le soir de notre première rencontre, je suis Tigrou chez lui. J’ai un peu bu, je ne veux pas rentrer seule chez moi. Deux autres amies nous accompagnent. Arrivé.e.s chez lui, tous.tes les quatre assis.e.s en cercle dans son studio, Tigrou me surprend. Pour la première fois, sans aucun rapprochement physique préalable, on me demande quelles sont mes attentes, mes désirs et mes limites. Je suis troublée par le côté inédit de la situation. Je ne sais pas tout de suite comment y répondre. Je regarde autour de moi, réalise que je ne désire pas spécialement avoir des relations sexuelles avec les personnes présentes et me rends compte qu’il est très difficile pour moi de l’exprimer. Je bafouille un peu, me demande quels sont les codes, s’il y a une bonne façon de le dire, comment ne pas froisser, est-ce que je veux vraiment être là, est-ce que je peux partir et changer d’avis, je ne suis pas contre des câlins, peut-être des bisous, j’ai sommeil, j’ai bu… C’est le tour de Tigrou. Il souhaite que tout le monde garde ses sous-vêtements, qu’il n’y ait « pas de génital ». Il est d’accord pour faire des câlins à tout le monde. À nouveau, je peux dire si je suis d’accord ou non avec les propositions de chacun.e. En toute confiance, je me mets au lit et je ne crains rien.
À presque trente ans, je découvre une approche complètement nouvelle de la sexualité, à peine effleurée lors de mes discussions avec des ami.e.s. Sans tout expérimenter, j’ai posé la question aux personnes concernées. Parce qu’il n’existe pas de « guide des bonnes pratiques sexuelles », il faut se le créer soi-même, s’inspirer des expériences vécues par d’autres et beaucoup échanger. Jusqu’à trouver son propre équilibre. Jusqu’à pouvoir formuler sans hésitation ce qu’on veut vraiment. Et avec qui. Jusqu’à entendre l’autre, avec clarté et reconnaissance.
Dire non, tu sais, c’est pas si facile
La personne qui tient le compte Instagram @Tasjoui a récemment publié un texte au titre volontairement provoquant « Je me suis violée pour qu’on m’aime encore ». Elle écrit : « J’ai violé mon corps pour qu’on m’aime encore. […] Quand vous n’avez pas envie mais que vous vous offrez, car tout c’est tout ce qu’il vous reste dans cette relation. […] Le sexe comme monnaie de l’attention, la seule façon, tordue et malsaine, d’avoir encore un langage commun. Ce besoin douloureux de « faire l’amour » pour savoir, pour être sûre, que c’est la fin de l’amour. […] Alors, pour ne pas tout perdre, je me viole. Je me fais du mal. Je ne sais plus quelles sont mes limites. Je ne sais plus me protéger. Ni de lui, et encore moins de moi-même. Je suis consentante. Je lui donne l’autorisation. Je me donne l’autorisation. Mais il n’est pas avec moi. Il est seul dans l’acte. J’ai vécu des moments de terreur en réalisant que ses gestes étaient mécaniques. Des moments de solitude. Des moments de douleurs. Je sors de mon corps. […] Je ne suis qu’un morceau de chair. Il ne se rend pas compte que je ne suis pas là. Je pleure en silence pendant qu’il me pénètre. Des larmes envahissent mon visage. Et lui, il ne voit rien. […] Je ne l’ai jamais arrêté, j’en ai même réclamé. […] Des années après, je me sens encore atteinte dans mon intimité. »
Dans les commentaires, beaucoup affirment que ce que @tasjoui décrit est un « viol conjugal ». En réponse, elle insiste pourtant : « Non dsl ce n’est pas un viol. C’était consenti à 100%. C’est beaucoup plus subtile (sic) que ça, d’où l’écriture de ce texte. »
Ce qu’interroge @tasjoui est en effet beaucoup plus profond, et exige de nous la capacité à refuser ce qui nous fait du mal, mais aussi à refuser d’accepter des choses qui ne nous font pas plaisir sous prétexte de satisfaire son, sa ou ses partenaires, jusqu’au point de souffrir et de se briser. Sauf qu’on ne nous apprend pas à dire non, ni à le recevoir.
Lors d’une « horizontale », les règles sont claires et répétées à chaque fois, me confie Tigrou. Le consentement y est évidemment fondamental. Un « peut-être » est un « non ». On demande avant de toucher. Les rires et les larmes sont bienvenus. On peut partir quand on veut. Les photos sont interdites. « On commence par un cercle où on dit qui on est et comment on se sent. Par exemple : Tigrou, excité. Puis on se dit nos désirs, nos non-désirs, nos attentes et nos limites. Par exemple : j’aimerais bien une connexion, je n’ai pas envie de fessée, j’attends qu’on me demande avant de faire, ma limite c’est pas de contact génital avec les garçons. Ça sécurise parce qu’on se rend compte qu’on n’est pas le seul à être anxieux. »
Une soirée peut démarrer avec des jeux « brise-glace ». Sur de la musique ou pas, une personne volontaire dit comment elle veut être déshabillée, comment elle veut être touchée ou pas. Cela permet d’apprendre à mieux se connaître et comment répondre à ces demandes sans peur de vexer et sans honte. Les jeux se poursuivent avec un exercice sur le consentement. En groupe de deux, l’un.e fait face à l’autre. L’un.e est obligé.e de dire non. L’autre est obligé.e de dire merci.
Ce jeu, Camélia, 25 ans, l’a découvert en se rendant dans une soirée « Tendresse et pyjama », organisée par l’association française Les Chahuteuses. Camélia est une amie. Elle a réussi au cours de l’année écoulée à se construire une sexualité qu’elle trouve aujourd’hui épanouie. L’événement auquel elle a participé il y a quelques mois propose aux participant.e.s de questionner désir et non-désir, mais aussi la réception de la réponse de la ou les personnes en face. « On ne peut pas toucher quelqu’un sans avoir demandé son accord au préalable, précise Clara, bénévole chez Les Chahuteuses depuis deux ans et demi. C’est un événement grand public, où il n’y a pas de nudité, ni de sexe à proprement parler. Donc il faut pouvoir s’adresser aussi bien à la personne qui découvre, que celle qui connaît déjà. Avant de commencer, on se présente tous.tes, puis on s’engage à respecter les règles communes en levant la main. » Les retardataires ne sont pas admis pour ne pas perturber ce cercle de confiance mutuelle.
« On apprend aussi qu’un non n’est pas forcément négatif, que quand je dis non, je dis oui à quelque chose. Parfois, une personne répond qu’elle est « incapable de dire non ». Alors on essaye de comprendre : À quoi tu n’arrives pas à dire non ? Comment donner de la valeur à un non, alors que j’ai dit oui plus tôt ? »
Chacun.e sa responsabilité
La mise en place d’un safe space, comme lors de la soirée “Tendresse et pyjama”, peut créer l’illusion que rien ne peut nous arriver, parce que le cadre est bien défini. Qu’il suffirait d’être « juste entre nous », personnes conscientes et averties, pour que tout se passe bien. « On porte la responsabilité sur le cadre », dit Estelle. Iel est bénévole auprès de plusieurs collectifs ou associations (dont Les Chahuteuses et Erosticratie) en prévention des risques, inclusion et accessibilité. « Depuis une dizaine d’années, je mets au point des outils, des formations et des supports pour offrir un cadre bienveillant et le plus sécurisant possible à des activités variées notamment dans les milieux queer (Radical Queer Semaine de Montréal) et les sexualités alternatives. » Iel a maintenant créé CEBI, sa micro-entreprise dédiée à la Création d’Espaces Bienveillants et Inclusifs dans différents cadres (événementiels, culturels, loisirs et entreprise).
Selon iel, l’expression « safe space » n’est pas la bonne. On devrait plutôt parler d’ « awareness space », c’est-à-dire d’être “en conscience des personnes”. « C’est le fait d’être en coresponsabilité et en coconstruction. Il faut jouer le jeu, dit-iel. Si une personne n’est pas dans la volonté d’être dans la cohésion d’ensemble, il faut être très clair.e sur les limites du cadre et avoir conscience de ce qui nous dépasse. » En cas de rupture de la confiance, parfois due à une incompréhension, – un préjugé ou un à priori, un travail peut être fait au niveau de la communication. « In fine, il y a un droit à l’imperfection. On ne peut jamais promettre que rien ne va arriver, mais – si quelque chose arrive, on n’est pas tout.e seul.e. On peut apprendre aussi a posteriori. C’est une collaboration évolutive. Sinon on place beaucoup trop de charge sur les épaules du cadre, et on déresponsabilise les personnes. » Une fois le lieu bienveillant et inclusif établi, selon des règles partagées et admises, nous sommes responsables de dire notre oui et notre non. En cas de difficulté, il s’agit alors d’aider, d’écouter ou de proposer des alternatives. « Si tu n’arrives pas à dire non, ajoute Clara, tu peux essayer « je préfèrerais », ou « je ne sais pas, attends, j’ai besoin de temps ». On a toujours le choix de prendre son temps, de se mettre sur le côté, ou de partir. » Les propositions ne sont que des propositions.
Sexualité joyeuse et ludique
Pour Clara et Estelle, leur position de « sachant.e » vis-à-vis de ces questions-là les positionnent parfois dans des contradictions. Iels sont en perpétuelle évolution personnelle et continuent de s’interroger. « Parfois, dit Estelle, dire les choses peut couper le désir de l’autre. Est-ce que je ne deviens pas intransigeant.e sur certaines choses ? Comment maintenir la spontanéité ? L’autre se sent-il.elle encore libre ? Comment apporter de la légèreté ? Est-ce que je ne me pose pas trop de questions ? »
Et puis, iel se trouve des moments fluides, où tout va bien. « Ce sont les moments où les choses sont posées, intégrées et qu’elles n’ont plus besoin d’être redites. On est beaucoup moins dans le verbal et on entre plus dans la métaphore. On sort de la lourdeur. Où je peux me dire que je peux sortir de ma zone de confort parce que je sais que si je veux y retourner, elle sera respectée. La fluidité vient de la confiance. On danse ensemble, sans se marcher sur les pieds. » (Sauf si on veut se faire marcher sur les pieds, bien sûr).
Clara sait qu’elle peut demander et ne s’autocensure plus, même si « ça ne marche pas toujours ». « Je prends plaisir à dire merci à un non. J’ai appris à me renseigner sur la façon dont fonctionne la personne avec qui je suis. Ce n’est pas grave si on ne réalise pas toutes ses envies, peut-être qu’on ne fera jamais quelque chose qu’on aura exprimé, mais on peut voir où ça se rejoint, sur du commun. »
Un équilibre peut se trouver entre le « donner » et le « recevoir ». Camélia en a fait l’expérience avec des partenaires qui lui faisaient confiance, et en qui elle avait confiance. Après une soirée dans un club libertin, elle a pu découvrir le « non merci » avec des inconnu.e.s venant la solliciter. « On pouvait aussi mettre des limites. Par exemple, avec un couple homme/femme, la femme ne voulait pas de relation avec mon partenaire, juste avec moi. Elle a pu décider ce qu’elle voulait, et on a respecté. » Camélia redouble de vigilance pour se créer des espaces bienveillants pour s’éclater, en partie à cause des agressions qu’elle a subies, et aux trahisons auxquelles elle a dû faire face. Comme cette fois où son partenaire a éjaculé en elle alors qu’elle lui avait demandé de se retirer. Ne prenant aucun moyen de contraception, elle lui avait fait confiance. Ils avaient accepté, après avoir vérifié que leurs tests complets MST étaient négatifs, de ne pas utiliser de préservatif – pour une sexualité safe, les maladies sexuellement transmissibles ne peuvent pas être mises de côté ou ignorées. Mais il a joui à l’intérieur de son vagin, sans son autorisation. L’accord entre eux était pourtant de limiter les risques pour Camélia de tomber enceinte par la technique dite « du retrait ». Peu importe ici le débat sur l’efficacité ou pas d’un tel acte, l’engagement était clair entre les deux parties. L’une d’elle a décidé, seule, de ne plus en tenir compte, sans consulter la deuxième. Une sexualité safe est alors tout autant une question émotionnelle que physique.
« Ce ne sont pas que des actes sexuels, poursuit Camélia, mais aussi de la tendresse, du toucher. Chaque geste compte. Des amis se disent que je fais des trucs de ouf au pieu, parce que je suis polyamoureuse, que j’ai organisé une orgie ou que je vais en club libertin. Mais pas du tout ! J’fais pas du kung fu ! Je suis d’accord avec le fait d’être basique, et de ne plus me forcer ou de culpabiliser parce que je n’ai pas certaines envies. Je découvre des parties de moi, à un niveau émotionnel. Si dans l’intimité tu te laisses écraser, comment tu veux être sûr.e de toi ? » Pour l’organisation de sa première horizontale, Camélia a donc fait attention aux choix des personnes, pour assurer une parenthèse dans laquelle elle se sentirait libre d’explorer. Dans le cercle de confiance, tous.tes énoncent des craintes. Après quelques jeux, comme ceux dont parlait Tigrou, l’ambiance se détend. L’un des participants décide finalement de partir. Aucun jugement, aucune honte, personne ne se sent vexé. On lui dit merci.
Il n’est pas facile de parler de son intimité, et encore moins de trouver des lieux où l’on se sente à l’aise de partager ses désirs et ses expériences. J’ai moi-même eu du mal à m’ouvrir pleinement pour cet article. Certaines choses ne regardent que moi, d’autres doivent sortir du privé pour engager la conversation, par nécessité de nommer des comportements qui sont respectueux, et d’autres qui ne devraient plus être la norme. Parce qu’il est impossible de laisser tomber des habitudes et de se transformer, si on ne sait pas par quoi il faut les remplacer. Tout comme il peut être bénéfique de réfléchir à un « after care », c’est-à-dire de discuter en aval, de se donner du temps pour prendre conscience de son propre fonctionnement et se demander : « Comment ça va ? »
Les « safe words » et les règles communes de consentement et d’écoute ne sont pas l’apanage d’une sexualité plutôt qu’une autre. Tous ces outils peuvent être utiles, qu’on soit à deux ou à plusieurs, quels que soient les genres ou les génitalités impliquées, quel que soit le lieu, privé ou public, quels que soient les envies et les actes, un bisou sur la joue, des caresses, avec des jouets, nu.e.s ou même habillé.e.s.
Quelques lectures recommandées au cours de mon exploration
La salope éthique : guide pratique pour des relations libres sereines, Dossie Easton et Janet Hardy
Le Corps, le soi et l’âme, Dr Jack Lee Rosenberg
La technique du périnée, Florent Ruppert et Ruppert et Mulot
Drawn to sex: The basics, Erika Moen, Matthew Nolan
Girls will be girls, Emer O’Toole
Sexpowerment, Le sexe libère la femme (et l’homme), Camille Emmanuelle
Le Slow Sex, s’aimer en pleine conscience, Anne et Jean-François Descombes