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Mais ielles renoncent à quoi donc ?

Mais ielles renoncent à quoi donc ?

On l’a déjà identifié, la conciliation est souvent synonyme de sacrifice. « Sacrifier une chose à laquelle on tient au détriment d’une autre à laquelle on tient encore plus. Des compromis, des concessions, un recherche d’équilibre…» se lamente Amal, mère d’un enfant en bas âge fraîchement divorcée. Certainement, on sacrifie parfois des petites choses – qu’on finit par regretter sur le long terme malgré le fait que cela soit des petits riens : une petite sieste, une heure de loisir avec nos enfants, une promenade avec mamie ou un appel à la copine qui vient de passer par un mauvais moment. Et cela en faveur de cet énième rapport urgent, cette réunion importante (autant que les 15 dernières) ou n’importe quelle autre urgence professionnelle. (Dit-elle en écrivant cet article à 23h du soir un samedi !). Ou alors, on va beaucoup plus loin, on sacrifie carrément des aspects centraux, on renonce à des bribes de la mosaïque qui devrait être notre vie.

La non-conciliation commence bien souvent par ces petites choses qui changent radicalement la vie au quotidien. Par exemple, le fait de ne plus avoir le temps pour telle activité ou de devoir jongler pour trouver un moment pour ce qui nous paraissait avant de l’ordre du naturel, pour ce qui allait de soi : « Avant d’avoir les enfants, j’arrivais tard à la maison, je prenais un verre en sortant du travail sans m’inquiéter de grand-chose, je n’avais pas d’horaires fixes », se rappelle Sonia, mère de deux enfants en bas âge. La spontanéité disparaît comme par magie le jour de ton accouchement ! Mais pas que ! Lorsque la vie dite « d’adulte » commence, cette capacité d’improvisation décline aussi vite qu’augmentent les responsabilités, les factures, les potentiels enfants, l’entourage qui vieillit ou la fatigue qui s’installe.

L’amour et la sexualité à la trappe !

Le manque de temps, de spontanéité, de vie sociale ou de ressources limite en grande partie nos possibilités de conciliation afin de s’épanouir sexuellement et sentimentalement. Cela demeure une source de frustration pour Amal : « c’est le point de frustration le plus pesant sur ma vie actuelle. J’ai l’impression de ne plus avoir « le droit » d’exister en tant que femme et que si je désire m’évader, je dois m’organiser à plusieurs niveaux pour faire garder mon fils, au maximum une fois par semaine, ce qui ne répond pas à mes besoins. Mes parents peuvent se montrer de bonne volonté mais expriment clairement leurs limites, notamment par rapport au couchage de mon fils.  Maintenant que je suis séparée, et que j’essaie de répondre à mes besoins de femme (notamment pour avoir une vie sentimentale et sexuelle) je me rends compte que je dois m’organiser (encore et en encore) pour trouver le temps nécessaire pour tisser des liens et tenter de construire quelque chose. Pour l’instant ce n’est pas envisageable, je dois me contenter d’une ou deux escapades de 3/4h tout au plus. Il m’est également arrivé de décliner/annuler des rdv à cause de la fatigue. » Même sentiment de frustration pour Francis, en couple homosexuel, qui a tellement donné priorité à son travail que cela a entravé son épanouissement amoureux : « le manque de temps libre m’a empêché, surtout durant ma vingtaine, de rencontrer un/des partenaires de vie. »

Face à ces situations, certains et certaines décident de poser des limites afin d’améliorer leur situation et de mieux combattre la frustration : « quelques mois après la séparation, j’ai finalement décidé d’installer une application de rencontre et demandé de l’aide d’une personne pour garder mon fils, chose que je n’avais jamais fait auparavant, il avait toujours été gardé par des proches. Cela m’a permis de faire des rencontres, d’améliorer ma vie sexuelle… et mon humeur ! » rigole Estelle, maman d’un enfant et remariée. Même au sein du couple, certains arrangements sont mis en place pour essayer d’avoir une vie sexuelle tout en étant parents d’enfants en bas âge – période charnière pour la sexualité : des rendez-vous, des coups rapides pendant une sieste, des courts séjours à l’hôtel pour seulement quelques heures (pour ceux qui ont la chance ! et les moyens !).  D’autres décident plutôt de mettre en stand-by leur vie sexuelle ou amoureuse afin de pouvoir affronter les défis de leur quotidien. C’est le cas de Christine, mère célibataire de deux enfants, qui a pris la décision de faire l’impasse sur la question amoureuse en raison des difficultés de construire une relation : « C’est vrai que, par exemple, question relation, pour pouvoir faire tout ce que je fais pour le moment, j’ai décidé de complètement ignorer tout ce qui est relation amoureuse, je n’ai pas le temps de m’investir et c’est très difficile, même pour un homme, de se projeter avec une femme qui a déjà une famille, qui a déjà tout monté. Parce qu’il arrive dans un endroit où, en fait, ce n’est pas comme s’il était attendu. En vrai il est déjà peut-être un peu en trop, parce qu’il nous prend en gros en trio. Puis pour moi c’est trop d’effort et cela ne dure pas donc il faut recommencer. J’ai envisagé de partager la conciliation mais cela a été compliqué, donc j’ai laissé tomber ». Le choix de Christine est loin d’être un cas isolé chez la population monoparentale.

L’étude La Guerre des mères. Parcours sensibles de mères célibataires (2009) de Pascale Lardellier, montre que  pendant quelques années, les mères célibataires consacrent prioritairement leur temps, leur argent, et bien des attentions à l’éducation de l’enfant, plutôt qu’envisager la reconstruction d’un couple. Ce célibat auto-imposé n’est pourtant pas le seul modèle. Célestine, mère de cinq enfants entre quelques mois et la vingtaine, a refait sa vie à plusieurs reprises jusqu’à tomber sur celui qui lui convenait (au moins pour le moment). Mais elle est passée par des moments difficiles pendant les périodes de séparation, sans jamais délaisser sa relation avec les enfants : « On me dit souvent que je suis une femme très forte, que je réussis à me débrouiller, à travailler dans des métiers pénibles, apporter ce qu’il faut, d’être le moteur… mais mon rêve a toujours été d’avoir une grande famille. Les gens étaient étonnés du fait d’avoir tout fait pendant un bon moment, mais ils ne voyaient pas que ma maison était en bordel continuel, que je souffrais de dépression… mais je prenais mes enfants et je sortais avec eux, c’était mon appui principal ».

Les proches et soi-même, des dommages collatéraux de la non-conciliation

Face au manque de temps, le stress, l’incapacité d’arriver à tout gérer, certains aspects de la vie finissent par passer à la trappe :« Je ne me sens pas totalement débordée, toutefois c’est vrai que parfois je renonce à aller voir mes potes pour avoir du temps pour moi-même. Je cherche du temps le soir pendant que tous dorment afin de faire mes choses à moi. Lorsque je suis passée par des mauvais moments j’ai négligé tout sauf mon travail qui m’a permis de me déconnecter de mes problèmes plus facilement. Par contre, j’ai complètement délaissé les tâches domestiques et tout ce qui concerne les soins, envers moi-même et ceux qui m’entourent en général ». En même temps, ce travail devient un espace qui te permet de respirer du stress de la parentalité, des difficultés de la famille, voire, cela te permet d’avoir un espace à toi, un petit temps à toi : « le travail parfois, c’est une échappatoire par rapport à tes enfants, ta famille, etc. Et je me suis déjà fait la réflexion que parfois, mon mec finit plus tôt de travailler que moi et que moi, je traîne pour ne pas devoir me taper la bouffe, les enfants qui crient, tu vois, les trucs comme ça. Ce n’est pas grave si je traîne encore une demi-heure, c’est déjà ça, un peu plus de temps pour moi, quoi, tu vois ? » explique Hélène, mère de trois enfants, dont un nouveau-né.

La vie sociale prend aussi souvent un coup avec la parentalité. De nombreuses mères constatent même un éloignement des amis, voire parfois une incompatibilité : « Il a fallu du temps à mes ami.e.s pour comprendre que choisir d’être mère ne signifiait pas choisir de ne plus les voir. Ils ne me proposaient plus rien, ou plus grand-chose. Je devais toujours être pro-active, les relancer, insister sur le fait que j’étais dispo et motivée » se lamente Aline. Pour Amelia, mère de deux enfants et mariée, le temps pour socialiser est réduit à la socialisation avec d’autres groupes de parents d’enfants : « réellement, je n’ai presque pas du temps pour moi, même pas une fois par semaine, pour aller m’acheter quelque chose de personnel, aller chez l’esthéticienne ou des choses comme ça. Mon mari, lui, a plus de temps car il a renoncé à son travail pour me suivre ici de façon temporaire donc il a du temps quand les enfants ne sont pas là. En réalité, je ne concilie pas car je ne sors presque jamais avec mon mari, ni mes amies. Je  ne sors jamais avec des gens qui n’ont pas d’enfants. Toute ma vie sociale se passe autour des enfants, leurs événements… Notre entourage a complètement changé, parfois on a préféré ne pas sortir avec des gens qui n’ont pas de gosses parce qu’on voit trop la différence. »

La surcharge de travail et certaines formes de relation, notamment celles à distance, ont également un impact sur la vie sociale des personnes. Samir, professeur d’université en couple avec un homme vivant à l’étranger souffre de ce manque de temps : « Concernant la vie intime ou la vie avec les amis et la famille en rapport avec le volume et les horaires du travail, je suis épuisé. Surtout qu’il arrive que je fasse des déplacements entre la capitale où j’habite et d’autres villes donc c’est difficile de voir mes parents chaque jour ou de sortir avec des amis…. en fin de journée je peux même pas passer des moments intimes avec lui ni partager les tâches ménagères… d’ailleurs avant de me coucher il arrive que je prépare mes cours ou de corriger les travaux des étudiants chose qui est injuste à ses yeux puisqu’il veut que je lui consacre du temps. Même si samedi je suis libre je le passe avec des amis et puisqu’il est à l’étranger il préfère que je passe du temps à chatter avec lui par cam que de faire un apéro avec mes potes. Mais à la fin il accepte quand même de me laisser une marge de liberté …. Je pense personnellement déménager. Avoir un congé sans solde pour pouvoir le rejoindre mais tout dépendra du boulot que je vais trouver à l’étranger. En tout cas, cela nous aidera à nous rapprocher le plus possible et renforcera la relation. Car ça arrive qu’on dispute et qu’on soit loin … On résout nos problèmes par téléphone mais c’est insuffisant. »

Carrières mises en stand-by

Suivre la destination d’un nouvel emploi de son compagnon ou sa compagne, s’investir dans la parentalité, dans les soins des personnes âgées ou malades, protéger sa santé mentale… Plusieurs sont les raisons qui poussent à renoncer – temporairement ou pas – à sa carrière ou à changer complètement de métier. Marie, mariée et mère d’un enfant en bas âge a été confrontée à un choix difficile, celui du changement d’emploi à la recherche d’une stabilité, en échange de plus de temps pour la parentalité, alors qu’elle était vraiment épanouie dans son ancien métier : « j’ai eu l’opportunité de prendre un nouveau boulot, beaucoup plus stable, et mettre un terme à ce boulot de consultante, même si j’aime beaucoup, si ça m’a apporté énormément, c’était pas possible de continuer avec un enfant de deux ans. Pour mon conjoint, ça devenait un peu compliqué de gérer aussi ce petit bonhomme tout seul, et il me demandait quand même d’être un peu plus présente. J’ai eu au bout de quelques jours le manque de mon ancien boulot, et ce n’est pas évident tous les jours ». Les femmes doivent faire l’impasse sur certaines de leurs valeurs afin d’assurer une stabilité lors de la naissance des enfants, ce qui finit par peser sur sa propre façon de voir la vie : « J’ai toujours eu l’intime conviction qu’on devait travailler pour vivre et non vivre pour travailler. Enchaîner des horaires de bureau allant de 8h du matin jusqu’à 18h était inenvisageable pour moi. En dix ans de carrière professionnelle, je n’ai jamais occupé de poste nécessitant une présence de 8h/jour dans un bureau. Cette configuration me convenait parfaitement même si elle n’apportait pas la stabilité financière et sociale nécessaire pour un adulte de notre époque. A la naissance de mon fils en 2021, j’ai commencé à prendre conscience que pour subvenir à ses besoins et lui assurer un environnement de vie et éducation convenables, il était absolument nécessaire de stabiliser mes revenus et de revoir mes exigences à la baisse » Se révolte Amal, divorcée mère d’un enfant en bas âge.

Susana, mère célibataire pendant plusieurs années a été contrainte de renoncer à son métier en raison de sa qualité de famille monoparentale qui ne lui permettait pas de s’adapter aux contraintes de son emploi (horaires, déplacements, etc). : « J’avais fait des études dans le social, pour travailler avec des handicapés, mais les offres d’emploi disponibles proposent des horaires très complexes, et des salaires ridicules. Impossible donc de faire garder mon fils. À ce moment-là j’ai dû changer de métier pour pouvoir concilier ma vie professionnelle avec ma vie de maman solo. Quand Pedro avait 6 mois, j’ai trouvé un travail à 1h30 de chez moi et ma solution a été de chercher une crèche dans la même ville où j’allais travailler. ».

© Caroline Glorie

D’autres femmes, même si elles ne renoncent pas complètement à leur métier, ont dû mettre en pause une partie de leur métier afin de pouvoir « concilier » avec la vie familiale : éviter les heures supplémentaires, refuser des contrats en raison des délais, etc. Amina par exemple constate que « pour la recherche, ça m’a beaucoup, beaucoup freiné le fait d’être mère. Ce n’est pas qu’on va me refuser un poste de chercheure ou alors d’être responsable d’une recherche. Mais c’est plutôt que toi, tu vas s’autocensurer et tu vas travailler nécessairement moins que ton conjoint parce que tu sais que tu as cette responsabilité supplémentaire. Donc, c’est vrai que ma carrière en tant que chercheure a été beaucoup affectée, impactée en tout cas par le fait que je sois une mère. ». Parfois, cette autocensure s’effectue au profit du partenaire qui, lui, garde comme priorité son travail au détriment des soins des enfants – et surtout au détriment de la carrière de sa compagne. Et à l’inverse, des hommes suivent leur femme en mission à l’étranger en mettant en pause leur carrière, parfois en s’occupant des enfants, parfois pas vraiment. Comme Joan, père de deux enfants en bas âge, qui a quitté son emploi dans son pays natal pour s’installer dans un nouveau pays avec sa femme et ses enfants. Il s’occupe de ses enfants, et essaie de consacrer du temps à ses hobbies, notamment la peinture. Pourtant, il subit souvent des remises en question par rapport à ses aspirations professionnelles. Sa compagne explique cette réaction sociale : « Les gens sont étonnés de son choix, cela les étonne énormément, tout le monde nous demande pourquoi c’est lui qui reste à la maison, comme si cela voulait dire qu’il avait moins d’ambitions que moi. Heureusement, il est quelqu’un de très sûr de lui-même. Il se réalise avec d’autres choses que le travail et il s’occupe avec des choses qui lui plaisent »

S’engager ailleurs, mission impossible ?

En termes de sacrifices, au-delà de l’emploi, les projets personnels, les hobbies et l’engagement politique passent également à la trappe de la non-conciliation : l’art, le militantisme, le féminisme, le sport, certaines convictions… Natalie, célibataire sans enfants, était fortement engagée dans sa ville, dans plusieurs mouvances et associations, toutefois sa situation actuelle, notamment la surcharge de travail, ne lui permet pas de continuer : « j’ai dû renoncer à différentes activités de bénévolat et militantisme car je n’ai plus assez de temps pour tout concilier. J’aimerais travailler moins et je suis en train d’y réfléchir. Je suis convaincue que si je travaillais moins, je me nourrirais plus d’autres choses enrichissantes et je travaillerais 1000x mieux ». La survalorisation de l’emploi et du salariat met souvent à mal le développement d’autres aspects de la vie politique qui sont autant nécessaire pour le développement de la société et réconfortante pour celleux qui la pratiquent.

Paradoxalement, des milieux engagés dans les droits des femmes et l’égalité ne sont pas non plus investis par les mères/pères. Beaucoup de femmes avec enfants pointent la difficulté à continuer à s’engager: « quand tu deviens maman, tu as beaucoup moins de temps pour t’investir politiquement dans le féminisme, mais surtout, c’est beaucoup plus difficile de trouver de la place. Après, on a l’impression aussi que les mères arrêtaient d’exister politiquement, parce qu’on est beaucoup plus au foyer. J’ai eu beaucoup de mal à revendiquer les mères en tant que féministes. Je n’ai jamais trouvé une place dans laquelle on soit à l’aise pour pouvoir faire des revendications en tant que maman. En fait, ton féminisme se voit moins d’une certaine manière parce que tu n’es plus investi dans un mouvement, parce que tu revendiques moins puisque tu es plus dans ta famille. Et du coup, ton féminisme est plus “intérieur”, mais il n’y a que toi qui le sais finalement : dans l’éducation que tu donnes, dans les discussions que tu as avec ton mari ou ta famille. Mais ça concerne qu’un cercle restreint. Tu n’es plus là à gueuler, entre guillemets, ton féminisme, ou à poser des actes publics, si tu veux. Les actes, tu les poses, mais à l’intérieur d’un cercle restreint. Donc, peut-être, vis-à-vis de l’extérieur, tu as l’impression d’être moins ». Cette question est loin de faire l’unanimité au sein des mouvements féministes, malgré le fait que beaucoup de femmes mères m’ont fait part de cette impression et de leurs difficultés à s’intégrer.  J’ai moi-même senti ce manque d’espace féministe pour évoquer  la question de la maternité et constituer un front commun de lutte. Pourtant, les chercheuses Christine Corbeil et Francine Descarries se sont efforcées à remettre en question cette critique : « En questionnant les théories naturalistes selon lesquelles le féminin incarne la fertilité, la sensibilité et le dévouement, et en contestant l’imposition de la maternité comme seule voie de réalisation des femmes, les féministes amorcent, dès le début des années 70, une réflexion qui privilégie les dimensions sociales de la maternité, remet en cause l’idéologie de l’instinct maternel et revendique le droit à la maternité volontaire tout comme le droit d’exister sans être mère. D’abord négatif et souvent dénonciateur, leur discours se diversifiera, se nuancera et se complexifiera au fil des ans et des nouveaux enjeux sociaux. Les certitudes feront place au doute, au silence… et à d’autres paroles du refus explicite et individuel d’une Simone de Beauvoir à la célébration de l’éthique maternelle ; du syndrome de la ménagère… à la désillusion de la superfemme ; de la maternité-oppression à la revendication du pouvoir maternel ; du refus d’enfant… à la réification du féminin-maternel ; du rejet de la mère-nature… à celui de la mère-technologie ; de l’universalisme de la maternité au pluralisme des pratiques maternelles. La richesse, la complexité et les contradictions du discours des femmes s’expriment dans ce continuum de représentations qui oscillent entre maternité-aliénation et maternité-identité. »

Pour d’autres intervenants leurs sacrifices se situent dans les projets artistiques qui souffrent des conséquences de la surcharge de la vie professionnelle et la vie de famille. C’est le constat de Julien, père d’une fille, en déplacement à l’étranger : « La création des jeux vidéo, pour l’instant, c’est vraiment un truc que j’ai dû mettre de côté. J’arrivais un petit peu, tant que je pouvais me dire, je fais ça sur des heures de boulot, tant que ça rentre dans le cadre de mon projet de recherche. Parce qu’ en termes de hobby ou en termes de passion, je mets quand même un point d’honneur à faire des trucs pour moi de 20h à 23h30. Un jour sur deux, parce que quand c’est moi qui couche la petite, après ça va faire 21h jusqu’à 23h30. Et puis là, je suis lessivé, donc en fait, je m’en fous. Le mieux que j’arrive à faire, c’est jouer à un jeu vidéo qui demande un peu de réflexion, qui te met une histoire un peu intéressante, ou lire une BD, mais je n’arrive pas à produire quelque chose de neuf. »

Un bon nombre d’intervenant.e.s pointent leur renoncement afin de « survivre ». Audrey, mariée sans enfant au bord du burnout, a commencé récemment à faire ce « nettoyage » pour protéger sa santé mentale : « Ma généraliste a même osé me dire qu’il fallait que je me dégage de “toutes ces choses qu’il faut faire”. En gros, elle me demande de réduire moi-même la charge mentale du monde dans lequel je vis. Alors comme une vaisselle qui s’amoncelle ou des légumes que ne je récolte pas ne m’aideront pas à me sentir mieux, j’élague où je peux. J’ai renoncé à toutes mes activités bénévoles des mois à venir (et pourtant nombreuses me tiennent à cœur), j’ai renoncé à des travaux chez moi, j’ai même commencé à renoncer à des concerts (et ça c’est grave). Au boulot, je tente de repousser le stress et, par moment, je travaille lentement ou je procrastine non par défi mais parce que j’ai perdu une partie de mon organisation légendaire. Je fais tout ça parce que ma généraliste m’a donné un joker que je peux activer au besoin, il s’appelle “maintenant ça suffit, sinon je vous mets en arrêt”. Elle a accepté que je continue seulement si je lui promettais de ralentir et de surtout, surtout venir la voir si je sens que ça dérape. ».

La santé mentale s’est avérée tout au long du travail d’enquête un point fondamental car la non-conciliation a des effets néfastes sur l’aspect psychologique : « Quasiment tout l’argent que j’ai pu laisser de côté a été alloué au paiement de psychothérapies ou de soins médicaux. J’ai vécu un burn out à cause du travail excessif qui m’a obligé à suivre un traitement avec des anti-depresseurs et anxiolytiques », se lamente Francis, célibataire sans enfants. Juliette, elle, est tombée dans l’abus de substances pendant son burnout et montre avec humour que le fait de ne pas pouvoir concilier peut amener à des extrêmes : « Alors, une idée magique pour arriver à tout concilier ? Je vais dire l’alcool, les médicaments. Mais non, je rigole, ce n’est pas une idée magique, ça c’est une idée très malsaine. Mais malheureusement, je crois qu’il y a des moments où je suis passée par là, tu vois, où j’ai abusé de tout ça pour arriver à faire face en fait faire front à ces choses-là. Maintenant, je ne suis pas tombée dans l’alcoolisme ni dans la dépendance aux médicaments. Mais ça fait quand même partie des choses malsaines qui m’aident parfois à tenir le coup, mais ce n’est pas du tout une solution et ce n’est pas du tout ce que je conseille à l’heure actuelle. Par contre, ce que je veux exprimer, c’est que je pense qu’il y a un lien très étroit entre la conciliation, la santé mentale, l’organisation, les capacités des personnes aussi ». Effectivement, renoncer à des parties ou à la totalité de certains de ces aspects a certainement un impact sur notre psyché, mais également les tentatives d’arriver à tout faire met en danger notre santé mentale. Cristina Carrasco, dans l’ouvrage  Conciliacion, no gracias ! hacia una nueva organizacion social (ndlr: Conciliation, non merci ! Vers une nouvelle organisation sociale) analyse la question et considère que le modèle social actuel a mis en place un système de « non-conciliation » qui a une base malsaine opposant production capitaliste au bien-être humain. Il a imposé de la valeur aux bénéfices matériels au lieu de la prise en compte de l’humain, de la vie. L’objectif ne devrait pas être d’améliorer la conciliation sur cette base, mais de changer carrément le modèle. De plus en plus de personnes vont dans ce sens : « Je me demande si tous les efforts que j’ai fait pour le travail que j’ai fait en fait ils méritent le temps que j’enlève à la famille et à ma fille » se questionne Carla, mère d’un enfant, mariée.

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