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Épisode 3 : Se préparer à l’accouchement. Contourner les violences ?

La peur des violences obstétricales pousse bon nombre de femmes à se renseigner, à poser des choix alternatifs et à se préparer physiquement et moralement à ce moment tant craint pour certaines, tant espéré pour d’autres. Selon l’ouvrage de l’association belge Femmes et Santé portant sur la stigmatisation de la maternité : « Les femmes recherchent des alternatives, refusent certaines interventions médicales ou décident d’accoucher dans d’autres lieux souvent plus intimes que l’hôpital (maison de naissance, à domicile) et avec d’autres accompagnant.e.s que les gynécologues et obstétricien.ne.s (les sages-femmes, les doulas, etc.). Se réapproprier l’étape de l’accouchement peut alors être vécu comme une forme de prise de pouvoir par le corps, ainsi qu’une source d’empowerment et d’émancipation pour les femmes. » Ces démarches réussissent parfois, alors que pour d’autres, la situation ne leur permet finalement pas de mettre en place les alternatives qu’elles avaient prévues.

La préparation via la transmission de savoirs

Certaines femmes peuvent être entourées par d’autres – mères, cousines, tantes, amies – qui participent à la transmission de savoirs liés à la grossesse, à l’accouchement et à la quarantaine. Il peut s’agir de savoirs ancestraux comme les herbes présentes dans la zone de vie et utilisées pour soigner des symptômes de la grossesse comme le reflux, les vergetures, le gonflement des extrémités… Ces recommandations sont souvent accompagnées de vieux dictons ou de croyances beaucoup moins crédibles, qui changent selon la région. Pour ne donner qu’un exemple, en Espagne, les reflux sont lus comme le signe d’un enfant « poilu », alors que d’autres croyances devinent le sexe du bébé en fonction de la forme du ventre de la maman. Anne, belge, maman de trois enfants, a été formée par sa maman à communiquer avec son bébé via les techniques de l’haptonomie : « Ma mère m’a transmis beaucoup de connaissances et m’avait rassurée et aidée à préparer un accouchement naturel. Elle m’a appris à écouter et à communiquer avec mon bébé par haptonomie. » Ces types de transmissions sont de moins en moins présents dans nos sociétés où ce rôle d’apprenant a été relégué au milieu médical et paramédical, notamment à travers les cours prénataux, ou toute forme d’accompagnement accessible dans le privé ou dans les maisons de naissance (que nous aborderons plus tard).

Mario, père d’un enfant en Belgique, et la maman de son enfant, ont pu accéder à une série de séances de préparation collectives et individuelles avant la naissance : « Nous avons fait chant périnatal, gestion de la douleur, haptonomie, stades physiologiques de l’accouchement, ateliers sur l’allaitement, plus le suivi individuel avec la sage-femme. J’ai pas mal réfléchi pendant ces trucs parce qu’à la fois il y a un côté très féministe dans le fait de rendre à la femme son pouvoir d’agir, son expertise, etc. Et à la fois les soignantes font souvent référence (implicitement) à la sacralité de la femme, avec un côté pas religieux mais disons au moins mystique. » Alors que les transmissions familiales sont accompagnées par des croyances peu fiables, la transmission par le biais de « formatrices » ou d’« accompagnatrices » peut être liée à des approches mystiques. D’ailleurs, l’ouvrage Stigmatisation de la maternité dans une société néolibérale. Entre représentations idéalisées et dévalorisation sociale : quel(s) choix pour les femmes ? de Corps Écrits, ancien CEFA, met en garde contre les risques de sacralisation de l’expérience de l’accouchement : « Vivre l’expérience de la maternité transforme les femmes. Qu’elle soit bien ou mal vécue, elle ne laisse pas indifférente. Il existe une tension omniprésente quant à pouvoir parler de cette singularité sans biologiser, sans sacraliser, sans discriminer celles qui n’auraient pas d’enfant. »

D’autres femmes n’hésitent pas à entrer complètement dans la religion. Les femmes croyantes s’en remettent à Dieu ou à la Vierge avant et pendant l’accouchement. La mystique et les rituels anciens sont aussi très présents pendant le 7ème mois dans plusieurs cultures anciennes : « « Dine Bizzaad » (Blessingway) chez les Indiens Navajo, « Cha de bébé » au Brésil, « Façadura » en Turquie, « Stork Party » (Fête de la cigogne) en Afrique du Sud, « Valaikappu » ou « Pauch Masian » en Inde, « Rituel de la fontaine d’eau » au Japon… ». Marie, maman de deux enfants en Belgique, a organisé pour sa deuxième grossesse « un « Cercle de femmes » inspiré du Blessing Way des Indiens d’Amérique, une cérémonie faite pour célébrer la femme enceinte, lui apporter des gâteaux et des perles, pour faire un collier que la femme porte le jour de l’accouchement pour la protéger ». Ce rituel l’a véritablement aidée moralement et spirituellement dans les moments qu’elle traversait et dans son cheminement vers son deuxième accouchement après une première expérience marquée par des violences. Il est important de donner un large choix de types de savoirs auxquels les femmes ont accès pour se préparer à l’événement de l’accouchement, puis à chaque femme de faire le tri entre celles qui s’adaptent au mieux à son vécu et à son envie.

La question qu’on se pose est notamment de savoir comment favoriser les diverses formes de transmission de savoirs : les activistes qui luttent pour une naissance respectée se l’ont déjà posée, notamment pendant la soirée « Grossesse, accouchement : où sont les voix des femmes ? », dont le compte-rendu est publié sur le site de Naissance respectée, collectif belge, qui joue un rôle important dans la transmission des savoirs et le renseignement des femmes à propos de la naissance, dans le respect de leur physiologie et de leurs droits. À partir du questionnement sur la présence de la voix des femmes, les présentes donnaient des conseils et avançaient des constats sur la réalité en Belgique : « Il faut se parler, diffuser de l’information, tenir des blogs, réaliser des bandes dessinées, passer à la radio. Il faut aussi communiquer ses ressentis, échanger horizontalement entre femmes. Il ne faut pas compter que sur l’institutionnel, que sur ceux qui détiennent l’autorité. Les femmes plus informées doivent aussi aller vers les femmes plus fragilisées. Il faut maîtriser le savoir et le transmettre. » La mystique et les rituels sont des formes de connaissance qui peuvent apporter une force supplémentaire à ces femmes lorsqu’elles y ont recours. Cette réalité d’absence de transmission s’étend à d’autres régions de l’Europe, voire à des pays méditerranéens comme la Tunisie. Amel, une Tunisienne mère de deux enfants, affirmait lors d’une conversation informelle à ce sujet que « cette transmission n’est plus présente, elle s’est perdue en grande partie à cause de la médicalisation de l’accouchement en Tunisie ». De nombreuses connaissances et outils se sont perdus lors d’un transfert de responsabilité des matrones ou des femmes de la famille à la maison vers l’accouchement en milieu médical. Bien que certaines injonctions des savoirs populaires ont été bien heureusement perdues en chemin, d’autres informations, des savoirs utiles, ont été balayés dans ce même mouvement.

Les choix alternatifs : des maisons de naissance au plan d’accouchement

« Je voulais aller avec Lily dans une maison de naissance pour plusieurs raisons, notamment pour échapper à la violence obstétricale et à la médicalisation de l’accouchement – seulement avec une matrone, il n’y a pas de docteur ni rien pour la douleur. » Betty, maman d’un enfant entre l’Allemagne et la Tunisie, n’avait pourtant « JAMAIS songé à accoucher dans une maison de naissance AVANT d’être en Allemagne. La médicalisation de l’accouchement me semblait être une solution pour palier une douleur que je ne connaissais pas. En France comme en Espagne, je n’ai aucune amie qui ait accouché sans péridurale. Quand je suis arrivée en Allemagne et qu’on m’a parlé de l’accouchement dans une maison de naissance ou à la maison, j’ai pensé que les femmes étaient inconscientes, rétrogrades, voire masochistes : « Pas de péridurale, j’ai eu un vrai accouchement. » Mais j’ai commencé à réfléchir à tous les récits de mes amies, françaises et espagnoles… Je n’ai JAMAIS entendu qu’un accouchement avait été beau, avait été joyeux, avait été un moment de partage à trois, avec le papa… Par contre, des épisiotomies à gogo, des césariennes à gogo, des infirmières qui t’engueulent, etc. Je n’ai entendu que ça. Résultat : j’ai commencé à me renseigner et effectivement dans une maison de naissance : pas de médecins seulement des sages-femmes… Le médecin est celui qui décide mais qui ne parle pas à la parturiente, la sage-femme est celle qui te rassure, t’accompagne, te parle, t’explique et qui évitera toute intervention chirurgicale (car elle n’en a pas les compétences et souvent elle n’y voit pas l’intérêt). Voilà pourquoi j’ai préféré la « douleur » d’un accouchement dit naturel au traumatisme d’un accouchement où je ne serais ni écoutée, ni rassurée et où on pourrait me faire vivre des violences obstétriques. »

Le récit de Betty rappelle la mise en garde de certaines féministes à propos de la stigmatisation des femmes accouchant sous épidurale ou par le biais d’une césarienne car elles n’auraient pas eu « un vrai accouchement ». La peur des violences obstétricales demeure centrale dans les choix alternatifs des femmes, mais ce n’est pas la seule raison abordée par les femmes. Beaucoup ne sont pas au courant de ces violences et font ce choix pour contourner un accouchement gynécologique qui ne leur semble pas très adapté à leurs besoins, notamment concernant la position « allongée avec la péridurale. Elle voulait quelque chose de plus « naturel », une position plus naturelle, pas couchée sur le dos », affirme Mario, papa récemment, pour ensuite avouer : « On ne s’est rendu compte qu’après des nombreuses violences médicales qu’on avait contournées. »

Certaines femmes choisissent d’accoucher à la maison. Elles sont accompagnées par une sage-femme ou par une doula qui veille sur l’évolution de l’accouchement, sur le moral de la maman et sur les possibles complications qui peuvent arriver lors du travail. En cas de danger ou de problème la femme est conduite à l’hôpital ou à la maison de naissance. Parfois, les accompagnantes font office de sage-femme car la nature de l’accouchement – très rapide par exemple – ne permet pas à la doula ou à la sage-femme d’arriver sur place. 

Les femmes qui choisissent un milieu hospitalier peuvent s’orienter en fonction des la réputation de l’institution et de la panoplie de choix qu’offrent ces hôpitaux pour veiller à un accouchement respecté. Certains hôpitaux comptent avec un milieu aquatique, d’autres permettent de tamiser la lumière ou éviter les bruits forts, etc. Ces hôpitaux mettent un point d’honneur au respect des limites données par les femmes. Betty avait pris soin de choisir un hôpital en plus, car elle était en liste d’attente de la maison de naissance : « Donc je devais choisir un hôpital, que je n’aimais pas beaucoup… Mais la sage-femme m’a conseillé de choisir cet hôpital à Francfort. [Puis mon] bébé est arrivé un mois avant. MAIS j’avais choisi cet hôpital parce qu’il réalise en majorité des accouchements naturels et seulement une épisiotomie sur 1000 naissances l’année dernière. Je n’ai pas eu de péridurale, j’ai eu une sage-femme fantastique et j’ai accouché avec mon mari dans le lit avec moi. » Elle constate d’ailleurs un « retour en force des maisons de naissance » dans la ville de Francfort et elle a l’impression que « lors de la réunion d’information de la maison de naissance, la plupart des gens étaient assez « bobo », éduqués, informés ». 

Dans cette enquête, j’ai constaté que beaucoup de femmes n’étaient pas au courant des différentes formes de violences pendant l’accouchement (ni avant) mais aussi sur les divers moyens pour tenter d’éviter ces violences. Le plan d’accouchement ou de naissance demeure un bon exemple, car beaucoup des femmes ayant subi des violences pendant l’accouchement n’étaient même pas au courant de la possibilité de mettre en place des limites et des choix de façon formelle. Comme l’explique ce guide du ministère de la Santé de la région andalouse espagnole (en français et assez bien fait d’ailleurs) : « Un plan d’accouchement et de naissance est un document écrit que la femme enceinte utilise pour exprimer ses désirs et attentes concernant le déroulement de ces événements. Il doit servir à orienter l’équipe de professionnels responsables de votre prise en charge lors du séjour hospitalier. Même s’il peut être élaboré à tout moment de la grossesse, il est conseillé de le faire entre la 28ème et la 32ème semaine. Malgré son nom, il ne vise pas à prévoir exactement le déroulement de l’accouchement ou de la naissance, événements au cours desquels un grand nombre de variables imprévisibles entrent en jeu, mais à permettre à la femme enceinte d’exprimer ses préférences concernant les aspects pour lesquels il existe des solutions aussi efficaces et sûres les unes que les autres. En tout cas, le seul fait de lire ce document vous aidera, vous et votre conjoint, à mieux comprendre tout ce qui va se passer et vous permettra de participer activement à l’accouchement. » Ce plan précise toute une série de choix lors de l’hospitalisation :  l’accompagnement, les procédures qu’on peut éviter – ou accepter moyennant le fait d’être informée et donner son consentement – comme le rasage (ça pique après !) ; les lavements pré-accouchement ; la liberté de mouvements – pour ne pas être collée à la machine de surveillance du fœtus ; l’administration d’ocytocine pour accélérer l’accouchement ; les touchers vaginaux ; l’épisiotomie ; etc. Ce type de document permet de mieux connaître le processus d’accouchement en hôpital, car avant d’être sur place, on ne connaît généralement pas toutes ces choses. 

Il y a un manque clair de communication autour de ces « actes médicaux » qui sont souvent acceptés parce qu’ils proviennent d’une institution respectée comme la médecine. Toutefois, une bonne partie de ces actes ne sont ni toujours nécessaires ni forcément meilleurs pour la femme ou pour le bébé, mais on s’arrêtera sur ces questions dans le prochain chapitre sur les violences lors de l’accouchement. Au-delà du contrôle que la femme peut exercer sur l’accès à son corps de la part du corps médical, le plan de naissance permet à la femme de demander à être informée des actes médicaux et de donner son consentement. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces choix peuvent facilement être contournés par des « conseils » médicaux, pas toujours neutres, qui poussent les femmes à donner leur consentement. D’ailleurs, cette prise de « pouvoir » sur leur propre corps peut être très mal comprise par le milieu médical qui n’accepte pas la démarche ou qui fait pression pour imposer sa position hiérarchique à un moment où la femme se trouve en situation de faiblesse. Une phrase revient souvent : « J’ai eu tout ce que je ne voulais pas. » Puis, on se demande comment on est arrivé là. On essaiera de répondre à cette question dans les prochains épisodes. Car on constate que le milieu médical peut se montrer très réticent, voire contre ce genre de démarches d’empowerment et de prise de conscience.

Les choix alternatifs visant à éviter la violence ne sont pas assez connus du grand public, souvent réservés à des personnes informées et avec un haut pouvoir d’achat. Le milieu médical « normal », dans le sens de ceux qui ne sont pas dans la mouvance de la naissance respectée, ne facilite ces informations que si la personne a déjà des connaissances. De plus en plus de femmes parlent de ces choix alternatifs et cherchent à aider d’autres femmes pour qu’elles ne subissent pas de violences, que ce soit via les réseaux sociaux, les médias ou dans les conversations entre copines. La question de l’information est très importante et délicate. S’il existe beaucoup de travaux qui montrent les liens entre le milieu de naissance et les violences (comme celui-ci au Canada), il n’est ni envisageable ni possible pour toutes les femmes de s’informer de façon scientifique. Il n’est pas non plus convenable de décrier le milieu médical car celui-ci peut sauver des vies ; les professionnel.le.s de la santé vivent d’ailleurs eux.elles aussi des violences. Il ne semble pas possible d’éliminer tout contrôle social car ceci pourrait être ressenti comme de l’indifférence par les femmes enceintes face aux particularités de la grossesse. Un nécessaire juste milieu est à trouver entre injonctions et partages d’informations, entre violences et soins des femmes en grossesse, entre l’importance de cette étape et la capacité de parler d’un vécu violent.


Introduction « Enfanter dans les violences »

Série 1 : « De l’envie d’enfanter (ou pas) au fait accompli… »

Épisode 1 « Quand le(s) passé(s) s’invite(nt) dans la grossesse« 

Épisode 2 « Le contrôle du corps gestant »

Épisode 3 « Se préparer à l’accouchement. Contourner les violences ? »

Série 2 : Donner naissance comme expérience violente

Épisode 4 : L’écoute des femmes, ce grand oubli de l’accouchement

Épisode 5 : « Ces femmes (et enfants) qui seraient mort.e.s en couche sans la médecine moderne »

Épisode 6 : Les violences obstétricales comme problème public : quelles réponses politiques ?

Série 3 : La grande (lourde et heureuse ?) délivrance

Épisode 7 : Le post-partum, la violence des séquelles de l’accouchement

Épisode 8 : La violence, c’est nous… mais surtout les autres !

On ne conclut jamais un sujet pareil !

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