Les premiers moments de la maternité sont marqués par une violence sociale très forte envers les mamans qui supportent au quotidien des critiques féroces sur leurs choix et des « conseils » non demandés sur la « Bonne Façon » de materner, qui change bien évidemment en fonction de l’interlocuteur. Tout le monde a une opinion, mais très peu se mettent à disposition des mamans pour leur donner un vrai coup de main. Situation typique : tu as ton gamin qui pleure comme un fou pendant que tu fais la file dans le supermarché et, forcément, quelqu’un vient te dire que ton gamin a faim/froid/chaud/sommeil, que c’est pour cela qu’il pleure, mais aucune de ces personnes ne te dira de passer devant pour que tu puisses soulager au plus vite ton enfant. Et cela arrive dans le bus, dans la rue, à la crèche, voire dans ta propre maison avec des proches.
Pendant qu’elles reçoivent des tonnes de paroles très peu bienveillantes et des conseils des « MadamesJeSaisToutEtToiT’esNulle », les nouvelles mamans supportent aussi le poids de l’extrême fatigue du maternage, des nuits sans dormir, des tâches qui s’accumulent, des rendez-vous médicaux à répétition, etc. Les préoccupations des mamans pendant ces premiers mois de maternité sont multiples : charge mentale, veille sur l’enfant, la maison, gérer la famille, le couple, le corps, la sexualité, etc. Et ces préoccupations risquent de se multiplier continuellement à cause de la remise en question perpétuelle de leurs choix et leurs manières de materner. Poussées très souvent à bout, beaucoup vivent des situations extrêmes psychologiquement et physiquement.
Cette grand solitude appelée maternité
Beaucoup d’entre elles témoignent d’un sentiment aigu de solitude et d’incompréhension dès le premier jour après l’accouchement, notamment à la maternité lorsque le compagnon doit rester à la maison pour garder les autres enfants comme Chloé, maman de deux enfants en Belgique, qui racontait le lien entre la solitude et son baby blues. De son côté, Ana, maman de deux enfants aussi en Belgique, a fort ressenti cette solitude dès l’accouchement car les pères de ses enfants ont refusé de les reconnaître : « C’est très difficile à expliquer. Pour le premier c’est une découverte, un truc nouveau. Il y a déjà l’angoisse de ça. Donc quand j’ai appelé son père je cherchais du réconfort. Pour le second je savais à quoi m’attendre, je n’avais plus besoin de réconfort. J’étais arrivée en mode warrior pour accoucher. J’ai pris le bus pour m’y rendre. J’étais très sereine. Je n’ai même pas le souvenir d’avoir eu des douleurs ni de souffrance. C’était un peu « machinalement », genre « fais ton truc et casse-toi ». Pour le premier, c’est ma mère qui m’a déposée à l’hosto mais elle a dû partir. Pour le deuxième j’étais vraiment seule. Rien à voir avec l’accouchement en soi, mais j’ai l’impression que tous ces moments où j’ai dû gérer seule, ça ne m’a pas rendue plus forte, ça m’a affaiblie. C’est bizarre, pourtant je suis consciente de ce que j’ai accompli. Parce que tu encaisses des coups, pas des coups physiques mais psychologiques… Mais ça reste des coups, ça t’assomme. Je commence maintenant à voir un psy pour cela. »
Pendant la maternité, le fait de ne pas avoir une famille et/ou un compagnon(e) qui te soutiennent provoque un effet terrible sur le quotidien, sur la vie des femmes pendant les premières années de maternité. Marie, mère de deux enfants en Belgique, n’avait pas de soutien de sa famille ni de celle de son compagnon. « Ça a été hyper dur. J’ai pleuré de solitude, de fatigue… Je manquais cruellement de quelqu’un qui prenne soin de moi. J’avais besoin d’en parler et on n’en parle pas assez, c’est un tabou ! » Même lorsque ces femmes sont accompagnées par le père, par la famille ou toute autre personne de son entourage, le sentiment de solitude est toujours là. Il s’ajoute à cette longue liste de préoccupations. Malika, mère d’un enfant en France, peut en témoigner :
« Ça a été fort dur aussi de vivre avec tous les sentiments contradictoires qui m’ont traversée : entre l’amour immense qui m’envahissait, l’émotion en regardant le bébé si petit et vulnérable, le besoin de le sentir près de nous, mais aussi le sentiment de perdre ma liberté, ma spontanéité et la vie à deux avec mon compagnon qui me plaisait beaucoup, l’impossibilité de participer à diverses activités socioculturelles qui m’intéressaient, l’espèce de plénitude que tout le monde décrivait (« ce n’est que du bonheur ») mais qui ne m’arrivait absolument pas, la solitude pendant l’arrêt de maternité (le terme congé est aussi très violent parce que ce n’en est clairement pas un !).Finalement, dans les difficultés post naissance, cette solitude amène tout un lot de charges difficiles à vivre : l’allaitement me rendait indispensable donc, si mon compagnon pouvait continuer ses activités en solo, pour ma part, je me sentais cloîtrée. »
Finalement, les sentiments contradictoires dont parle Malika sont constants dans les récits des femmes recueillis, lorsqu’elles sont confrontées à la maternité. « La violence a posteriori c’est d’être prise entre deux trucs : le fait de dire que tout est merveilleux, et ça l’est, et le fait de dire que c’est dur et que parfois tu as envie de le jeter par la fenêtre ton gosse », raconte Chloé, maman de deux enfants. Peu de femmes avouent ce sentiment de dépassement. Pourtant il est bien normal – tant qu’on ne jette pas vraiment l’enfant par la fenêtre. Les conflits moraux entre ce que l’on veut pour nous et nos enfants et la réalité de la maternité (et de la paternité) demeurent quelque chose de très courant. Je suis passée par ces moments, et à chaque fois que l’une de mes connaissances tombe enceinte ou accouche, je répète la même chose : « Si tu pètes un plomb ou que tu as envie de jeter le bébé par la fenêtre ou si tu as besoin, appelle-moi ! » Mais personne ne m’appelle – et ce n’est pas qu’elles ne m’aiment pas ! Dès qu’on se croise à nouveau, j’ai souvent comme retour : « J’ai failli t’appeler… » On discute alors de toutes ces merdes qui leur sont arrivées pendant les premiers mois de leur bébé. Et c’est toujours la même remarque : « Tu as eu ça aussi ? C’est normal ? On a l’impression que les enfants des autres font leurs nuits dès le deuxième mois, qu’ils font ceci, qu’ils font cela et le nôtre non ! » J’ai demandé pourquoi le téléphone restait silencieux malgré mes alertes sur la fatigue et la solitude. Une des mamans m’a directement répondu : « Tu ne le fais pas parce que tu te mets la pression, tu as la fatigue, tu culpabilises et tu n’as pas envie de déranger les autres. »
On se sent aussi parfois comme des « esclaves » de nos enfants, car certains choix comme l’allaitement peuvent demander des efforts supplémentaires. Malika, mère d’un enfant en France : « Ce qui a par contre été très difficile pour moi, c’était le sentiment d’être indispensable à la survie d’un petit être complètement dépendant de moi à cause de l’allaitement. Je n’avais qu’une trentaine de minutes entre chaque tétée (mon fils buvait toutes les 1h30 le premier mois, et restait 45 minutes au sein – je pense que mon débit n’était pas suffisant mais personne n’a pu le confirmer…). J’avais donc très peu de temps entre deux tétées et je me sentais esclave de lui. Je n’avais pas de raison socialement acceptable pour passer au lait en poudre : je n’avais pas de douleur, mon fils prenait du poids correctement… Je vivais assez mal l’idée d’arrêter, en pensant que c’était à la fois très pratique d’avoir un garde-manger en permanence sur moi et sûrement bien pour son immunité. Si j’arrêtais, c’était pour retrouver une forme de confort personnel et ça me culpabilisait. Personne ne m’y a contrainte, même implicitement. Je pense pourtant que j’avais bien intégré les normes sociales actuelles « pro-allaitement ». »
Les normes sociales « anti-allaitement » utilisent justement la question de la « maman esclave de son bébé » pour pousser à l’arrêt de l’allaitement « pour le confort de la maman » qui n’avait pourtant rien demandé. Moi, par exemple, j’ai eu une mise en place de l’allaitement très difficile avec des douleurs qui me faisaient crier à chaque fois que mon fils tétait, j’avais des crevasses et des fissures qui saignaient. Il y avait même du pus ! J’ai été très mal conseillée pour l’allaitement donc j’ai dû porter des téterelles en plastique au bout des seins pendant trois mois. La nuit de Noël, mon frère est monté dans ma chambre chez mes parents où j’étais avec mon fils de deux mois, en train de l’allaiter à moitié à poil, en crevant de douleur et avec une mine épouvantable. Il a jugé nécessaire de me dire que j’étais « l’esclave de mon fils et que je devrais arrêter l’allaitement et sortir faire la fête toute la nuit »… L’allaitement est un champ de bataille. Les mères doivent batailler pour faire respecter leur choix. Idem pour les pleurs, le cododo, la nourriture, le sucre, les écrans, et toutes les autres questions « brûlantes » de la maternité où deux camps s’affrontent sans pitié, indéfiniment.
L’enfer, c’est les autres
« La maternité est pleine de violences de tous types, que l’on vit soi-même et que les autres nous renvoient. Pour soi, déjà on souffre physiquement, sans compter la fatigue qui n’aide pas à avoir les idées claires. Culpabilité, remise en question, isolement…Je préfère 1000 fois ma propre détresse que ces constantes petites bagarres que le quotidien m’inflige. Que ce soit avec les proches, l’entourage plus éloigné ou ne serait-ce qu’un foutu passant dans la rue, tout le monde a toujours quelque chose à dire sur comment s’occuper de mon enfant. Ça va d’un simple jugement au pire du pire, la prise d’initiative.Exemple avec une seule et même situation : un va dire qu’il fait chaud et que bébé est frileux… Un autre va carrément le dévêtir. Les gens, du jour au lendemain, se mettent à faire de l’ingérence dans ta vie, à remettre en question tes idées et te prendre de haut… C’est totalement fou. Je pense ici au sujet de l’allaitement qui est riche en idées reçues ! C’est incroyable ce que j’ai pu entendre comme connerie, de personnes pourtant intelligentes mais qui répètent tristement les stéréotypes de leur pays et générations », se dit Aurore, mère d’un enfant entre la Tunisie et la France. Elle le vit au quotidien, comme des centaines de femmes qui voient leurs choix réduits à néant, qui souffrent d’une remise en cause constante de leur rôle de maman et qui finissent par se confronter à l’entourage proche :
« Comment ça peut venir à l’idée de donner du gâteau d’anniversaire plein de crème sucrée dégueulasse à un bébé de 6 mois qui commence à peine la diversification alimentaire avec des légumes… Ou un morceau de pomme crue car quelqu’un a vu que tu pratiquais la DME (diversification menée par l’enfant)… Dès que cette période de diversification commence, c’est vérifier tout le temps que personne ne lui donne rien. Comme si mon enfant était le cobaye de leur jeu… de leur propre avis… de leur ennui… Être mère c’est se méfier de tout le monde. C’est répondre systématiquement à la question : « Fait-t-il ses nuits ? » C’est écouter des soi-disant vérités sans avoir rien demandé. C’est apprendre à sourire et être diplomate… C’est prendre sur soi, constamment, avec des proches qui ne comprennent pas et à qui on doit éternellement mettre des limites face à cette fichue prise d’initiative. Être mère c’est faire face, chaque jour, à un étranger ou dans sa propre famille, à des situations diverses et variées qui remettent en question le rôle mère/enfant. J’aimerais m’en foutre et laisser faire, mais je n’y arrive pas. Certains jours, c’est digne d’un cauchemar, à l’image de la pomme donnée à bébé sans aucune connaissance en amont sur la DME… D’autres jours, c’est vraiment drôle. Exemple ? Bébé vient de manger et ronchonne en attendant de faire son rot et quelqu’un te dit : « Il a faim. Pauvre bébé, maman te donne pas à manger. » La majorité du temps, les gens sont vraiment à côté de la plaque. Mais ils affirment leur idée, y croyant dur comme fer, avec un aplomb incroyable. Un autre exemple, bébé pleure et tu dis qu’il est fatigué. Les autres vont dire : « Non, il a faim. Non, il a soif. Non, il a ça ou ça… » Comme si c’était juste pour te contredire. Comme si eux savaient car ils ont eu un enfant avant toi, ou bien plusieurs alors ils sont confirmés. À la fin, ils vont dire qu’il a sommeil. Mais la mère n’avait pas raison. C’est le temps qui est passé qui leur a donné raison à eux. « Maintenant, oui, il a sommeil. Avant, non… »
Après, de tout ça, on en rigole… Les mots ne sont pas bien importants au final. Au début j’expliquais mes choix. Après je faisais mine d’être d’accord avec certains pour ne pas rentrer dans un débat. Maintenant je dis non et ne discute pas. C’est malheureux cette dictature mais il faut bien ça avec toutes ces putain de personnes qui prennent des initiatives avec ton enfant. Le non catégorique et l’isolement sont les moyens d’agir quand certaines personnes te bouffent trop d’énergie… Je préfère une journée tranquille à la maison seule avec bébé qu’une sortie où il faudra que je surveille et me batte avec tous ceux qui auront mon enfant dans leur bras. Et je ne suis pas si folle que ça, si possessive que ça. Je sais bien que c’est pour toutes pareil. On imagine des choses pour notre bébé et on fait en sorte que ça se passe. Mais on ne peut pas tout maîtriser. »
Caro, mère d’un enfant en Belgique, ne fait que confirmer le constat de la violence des relations avec le monde extérieur, avec les proches et les moins proches, et surtout par rapport à ce sentiment d’appropriation du bébé :
«Mais le plus dur, je pense que ça a été le rapport au monde extérieur. Là où tu as envie de prendre le temps de découvrir ton bébé, tu oscilles entre médecins, visites et conseils en tous genres. « Tu ne devrais pas rester enfermée », « l’allaitement c’est pas terrible », ”donne-lui des biberons tu verras il dormira mieux », « des biberons, des biberons ». Puis cette manière qu’ont certains de te signifier que ce bébé est aussi à eux et qu’ils ont aussi le droit de faire ce qu’ils veulent. Même moi je ne me donnais pas ce droit « de faire ce que je voulais » de ce petit humain, du coup ça m’est apparu comme super violent. J’avais l’impression qu’ils parlaient littéralement d’un jouet ou d’un prolongement d’eux-mêmes avec lequel il s’agissait de faire ce qu’ils voulaient. J’exagère un peu mais on n’est pas si loin. D’un autre côté, on était à fond dans l’hyper remise en question, considération du petit, doute autour du rôle de parent. Et c’est peut-être hors sujet mais l’organisation du monde social me paraît aujourd’hui encore violente par rapport à un idéal de maternité. Reprendre le travail, devoir confier ton enfant, savoir qu’il entrera sans doute à l’école dans trois ans dans un système violent… Je m’écarte peut-être trop. C’est juste que le monde me semble peu « enfant friendly », les idéaux qu’on nous vend en sont loin aussi, ce qui ne rend pas toujours la maternité ou la paternité simple à vivre. »
En général, beaucoup de femmes constatent ce manque de préparation pour affronter l’extérieur et la remise en question quotidienne de « la place des bébés », ce qui peut très fortement changer d’un pays à l’autre. Par exemple, en Belgique, rentrer chez soi au-delà de 19h en plein hiver avec son bébé peut être très mal vu par les passants – j’ai eu des remarques et pas mal de commentaires dans ce sens – alors qu’en Espagne on peut facilement trouver des bébés endormis à 22h dans le bruit d’un café sans que cela ne choque personne. Ceci-dit, ces derniers seront hyper choqués de te voir promener ton fils dans la neige ou la pluie, alors qu’en Belgique c’est la norme. Toutefois, on peut constater l’existence d’une certaine stigmatisation des enfants et des bébés dans toutes les sociétés modernes. J’aime bien la réflexion de la psychanalyste Simone Korff-Sausse à ce sujet : « L’enfant a mauvaise presse dans notre société. On répand une image péjorative de “l’enfant-roi” : petits tyrans, gâtés par des parents qui se plient à toutes leurs exigences. En réalité, ils sont confrontés à des situations complexes créées par des adultes absorbés par leurs soucis professionnels ou leurs problèmes de cœur. Enfants accablés par le poids des angoisses parentales, investis de la mission de réussir dans un contexte social difficile. Enfants programmés, sommés de répondre à l’image d’un enfant idéal… Pas si roi que cela ! L’enfant est en même temps celui qu’on attend avec passion, au point que le “droit à l’enfant” est devenu un enjeu politique. Mais, le bébé est aussi de plus en plus celui qui dérange. »
À la recherche des choses perdues…
Retrouver son corps d’avant, récupérer sa libido d’avant, récupérer sa liberté d’avant, retrouver l’égalité dans le couple (d’avant ?), reconquérir sa place dans le boulot… Les injonctions après l’accouchement sont légion ! La question du corps revient beaucoup, comme pendant la grossesse, car les changements sont très visibles et la pression sociale très présente sur la question. Caro, mère d’un enfant en Belgique, pointe ces changements comme source d’une grande violence : « Autre grande violence, les changements corporels. » Certaines femmes vivent une forte détérioration de leur relation avec leur propre corps, ce qui finit par prendre une place non négligeable dans leur malaise. Juliette, mère d’un enfant en Belgique, souffre de ce traumatisme : « Le rapport à mon corps, qui était déjà très compliqué avant même d’être enceinte, s’est vraiment dégradé. Non seulement mon corps a changé, mais il a été tellement douloureux pendant tellement de temps, qu’il ne m’inspire plus que des sentiments très négatifs. Un peu comme si tout ce qui n’allait pas s’y inscrivait. Toutes les formes de violences vécues avant, pendant et après la naissance, qu’elles soient physiques ou psychologiques, passent très clairement chez moi par un rapport au corps particulièrement conflictuel. »
Quel que soit leur rapport à leur corps, toutes les femmes souffrent de la pression à devoir récupérer « celui d’avant ». Mais elles n’ont rien « perdu » ! La grossesse vous transforme. Or, les pressions de l’esthétique actuelle veulent en éliminer toute trace, ce qui est impossible pour une grande partie de la population féminine ayant des cicatrices, des vergetures, des cernes, des kilos, des cheveux qui tombent, des dents fragilisées et un grand nombre d’autres marques que la grossesse imprime (pour toujours ?) dans nos corps.
On doit aussi retrouver une vie sexuelle rapidement au grand risque « que ton homme aille voir ailleurs » ! Peu importe ta libido, ta douleur pendant les relations sexuelles ou encore ta fatigue… Marie, mère de deux enfants en Belgique, affirmait que sa tante l’avait traumatisée avec cette phrase sur le sexe après l’accouchement. Elle s’est forcée. Après le deuxième accouchement, elle a su se défaire de cette injonction et a développé sa sexualité en fonction de son envie. Son homme a respecté ses choix.
Beaucoup de femmes m’ont témoigné de bonnes réactions de leur compagnon à l’égard des relations sexuelles. Certaines affirment avoir récupéré rapidement leur libido alors que d’autres pas du tout à cause des douleurs insupportables. Toutefois, certaines ont subi une violence terrible de la part de leur mari ou petit-ami, qui leur ont mis la pression pour avoir des relations malgré les douleurs. Flore, mère de deux enfants en France, a subi de nombreuses violences ayant eu pour effet de ne plus se reconnaître :
« Après la naissance de mon aîné, ce qui a été très très dur, c’est la cicatrisation de cette foutue épisiotomie, justement. J’avais mal non-stop. Alors l’idée d’envisager une vie sexuelle était impossible. Mon compagnon a été patient quelques semaines… Et puis son impatience a pris le dessus. Ce n’était pas grave à ses yeux que j’aie un peu mal lors de nos rapports. Il fallait quand même que l’on fasse l’amour, malgré les douleurs, et malgré mon état de fatigue plus qu’avancé. J’ai été l’ombre de moi-même pendant 7 mois après la naissance de mon fils, mais il fallait quand même que je me montre femme, mère, amie, fille, sœur, et je me suis laissée envahir par ces injonctions. Avec le recul, j’ai dû faire une dépression post-partum, mais ce n’est qu’une supposition…. Je ne me reconnaissais pas dans le miroir, comme si mon esprit était le même mais avait été transporté dans ce corps qui n’était pas le mien. Même mes odeurs corporelles je ne les reconnaissais plus. Je n’ai jamais pu reprendre une vie sexuelle normale et épanouissante avec mon compagnon. Nous avons eu notre deuxième fils rapidement après (ils ont 18 mois d’écart), et rebelote pour mon corps qui ne m’appartenait plus : soit il était à mes enfants (allaitement, grossesse), soit à mon compagnon que je devais satisfaire. Ma satisfaction à moi, mes envies, mes besoins, sont passés totalement aux oubliettes. Je n’avais même pas conscience que je pouvais m’affirmer à cette période-là. J’étais tellement dévouée à ma famille que je passais après, et c’était normal.
Je me rends compte, en écrivant tout ceci, qu’il n’existe pas une violence, avec des actes ou des paroles absolument horribles. Il existe des centaines de petites violences, et des violences sournoises qui te font te sentir moins importante. Que c’est normal d’avoir mal, d’être fatiguée, de devoir tout gérer. C’est NORMAL. Et ça, c’est ultra violent ! Ces injonctions à devoir te faire passer après tout le monde, pas juste après tes enfants, mais après tes enfants, ta famille, ton partenaire, tu t’oublies et c’est violent. L’arrivée de mes enfants sur Terre m’a transformée. J’ai mis un temps fou à me réapproprier mon corps, à m’autoriser à m’affirmer, à refuser ce qui ne me convenait pas. Ça a été très long, et douloureux également. Le papa de mes enfants m’a quittée, avec le recul je sais combien ces changements corporels liés aux grossesses, aux hormones, aux accouchements ont été compliqués à gérer pour moi, certes, et pour lui aussi. Je me souviens que mes proches, ma mère, surtout, pouvait me dire que je devais être féminine, pour plaire à mon mari, que je ne devais pas m’oublier. Sur le fait de ne pas s’oublier, elle avait raison, mais dit à côté de « plaire à son mari », c’est une connerie ! On ne peut pas comprendre que « ne pas s’oublier » c’est prendre soin de soi, à sa manière. En se faisant du bien. En s’écoutant. En réussissant à affirmer ses envies, ses besoins, ses choix face à autrui. C’est violent de se faire passer en dernier. C’est violent de s’oublier. »
Parfois, les injonctions du retour à un avant qui n’existe plus se mêlent aussi à nos propres valeurs féministes, notamment dans la répartition des tâches. Comme l’affirme Malika, mère d’un enfant en France : « Comme j’avais de nombreux moments seule avec mon fils, je m’occupais non seulement de sa survie immédiate mais aussi de l’entretien de la maison, etc (Impossible de vivre entre quatre murs et en plus dans un environnement désordonné). Je prenais aussi en charge tous les aspects administratifs. Bref, là où notre couple était assez égalitaire dans la répartition des tâches quotidiennes, l’arrivée de notre bébé à rebattu les cartes et la dynamique a changé, malgré mes valeurs féministes. C’est aussi une des difficultés que j’ai rencontrées : j’ai constaté que j’étais totalement incohérente entre mes valeurs, mes engagements et l’organisation de ma vie. J’y travaille encore aujourd’hui, tout en mettant un point d’honneur à ne pas en faire une charge morale supplémentaire. »
Dans cet ordre des choses, l’admiration des femmes jouant dix rôles en même temps – les superwomen – est un véritable fardeau de la société moderne capitaliste. On valorise le fait que la femme est capable de faire face à TOUT, notamment avec les mamans travailleuses divorcées ou célibataires, malgré le fait que leur santé mentale, physique et morale en souffre énormément. Parallèlement, les hommes qui font des tâches liées à l’enfant sont aussi très vite considérés comme des super-hommes et félicités publiquement alors que les mamans qui, naturellement, en font dix fois plus, sont critiquées parce que ce n’est toujours pas assez. Les écarts entre les tâches s’accroissent à la naissance des enfants, l’organisation de la sécurité sociale avec les « congés maternels » et les ridicules (en temps) « congés paternels » forcent la main au déséquilibre dans le partage. L’organisation de l’espace public pousse aussi plus au maternage qu’au paternage. La maternité continue encore aujourd’hui d’être un impensé du féminisme au niveau théorique et de la mobilisation pour des causes liées à la maternité en tant que tel. Puis, les mères ont du mal à continuer leur engagement féministe du fait des nombreuses contraintes qui se lèvent devant elle, malgré les tentatives de création de crèches lors des événements. Heureusement, le mouvement commence à s’ouvrir de plus en plus aux mamans en adaptant des espaces et en écrivant au sujet de la maternité féministe. Citons l’ouvrage Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe de Chimamanda Ngozi Adichie.
Je ne veux pas suggérer que la maternité devrait être un chemin sans embûches et sans tracas ! Mais les attentes sociales et les injonctions qui pèsent sur les femmes ont un poids très lourd. C’est pourquoi l’intention de ces articles est d’en parler, de sortir du silence, c’est un premier pas. L’intention n’est pas de réduire la maternité (ni la grossesse ni l’accouchement d’ailleurs) aux violences, mais donner de la voix est nécessaire dans un contexte sociétal où les attentes sociales démesurées ont un poids très lourd sur les femmes par le biais de toutes ces injonctions surréalistes. On peut adorer, on peut aimer, on peut ne pas aimer le rôle de mère, on peut regretter de l’être et tout cela sans remettre en question l’amour qu’on a pour nos enfants. Elle n’est ni une obligation ni une nécessité. La maternité peut être un choix ou pas. Beaucoup de belles choses nous arrivent pendant cette partie de la vie. Et on s’en réjouit ! Il semble important de parler des difficultés de materner, de se remettre des blessures, de reprendre une vie sexuelle et même de la grande difficulté d’éduquer des enfants, qu’ils soient petits ou grands. En essayant de tout « bien faire » on s’épuise, on s’oublie, on sature, on culpabilise.
Introduction « Enfanter dans les violences »
Série 1 : « De l’envie d’enfanter (ou pas) au fait accompli… »
Épisode 1 « Quand le(s) passé(s) s’invite(nt) dans la grossesse«
Épisode 2 « Le contrôle du corps gestant »
Épisode 3 « Se préparer à l’accouchement. Contourner les violences ? »
Série 2 : Donner naissance comme expérience violente
Épisode 4 : L’écoute des femmes, ce grand oubli de l’accouchement
Épisode 5 : « Ces femmes (et enfants) qui seraient mort.e.s en couche sans la médecine moderne »
Épisode 6 : Les violences obstétricales comme problème public : quelles réponses politiques ?
Série 3 : La grande (lourde et heureuse ?) délivrance
Épisode 7 : Le post-partum, la violence des séquelles de l’accouchement
Épisode 8 : La violence, c’est nous… mais surtout les autres !