J’aurais voulu vous proposer une belle conclusion pour cette série sur les violences que subissent les femmes avant et pendant la grossesse, pendant et après l’accouchement et puis tout au long de la période de maternage. Cependant, il m’est impossible de mettre un point final à ces témoignages car ils ne cessent d’affluer tous les jours… Dès que la question revient dans une de mes conversations… de nouvelles atrocités me parviennent. Comme cette femme qui a failli mourir par négligence médicale, impliquant la reconstruction de son utérus ; 6 mois de souffrances indicibles pendant lesquels elle n’a jamais été écoutée ! Le médecin a osé lui dire qu’elle n’avait pas fait médecine et donc qu’elle n’avait qu’à la fermer (sur ce qu’elle pensait avoir) ! Elle avait effectivement raison, mais c’était déjà trop tard quand elle a changé de médecin… Ses organes étaient nécrosés. Une autre femme m’a raconté sa césarienne en urgence, calquée sur la mienne ; une autre revient vers moi pour dénoncer les pressions sociales liées à l’allaitement ; l’autre avoue ne plus avoir de relations sexuelles depuis des années. Cela n’en finit jamais !!! Les violences ne s’arrêtent pas à la fin de cet article. J’espère que ces paroles ne cesseront pas non plus. J’espère que ces femmes continueront à me raconter leurs souffrances et que d’autres oseront parler, ou au moins y penseront.
Malheureusement, je n’ai pas de solutions miracles à proposer : les solutions politiques demeurent rares et très difficiles à mettre en place. Les solutions qui impliquent l’empowerment des femmes sont évidemment les bienvenues : l’information, la transmission et le soutien sont fondamentaux. Donner la parole aux femmes qui ont souffert. Raconter les souffrances pour faire exister cet énorme problème. Informer celles qui ne le sont pas, dans le respect, sans augmenter la peur, en essayant de rassurer les femmes sur leur force, sur leur droit d’accès aux services médicaux sans devoir subir des violences. Mettre à disposition des réseaux d’information sur les choix pour l’accouchement…
Il faudrait surtout ne pas oublier que les violences peuvent aussi être subjectives. Ce qu’une femme a vécu comme violence, peut être vécu comme providence par une autre femme. Ni l’une, ni l’autre n’est dans l’erreur. Prenons l’exemple de la recherche de témoignages pour cette série. J’ai demandé à beaucoup de femmes si elles avaient vécu des violences : beaucoup ont répondu qu’elle n’avaient pas vraiment vécu de violences, mais lorsqu’elles écrivaient leurs expériences, elles comprenaient qu’elles en avait subi, sans les avoir pensées en tant que telles. Il peut donc y avoir une prise de conscience non verbalisée et cela peut provenir de l’écriture de leur expérience, de la lecture des expériences semblables vécues par d’autres femmes ainsi que des études à ce sujet ou encore lors des discussions. Certaines ont au contraire tout de suite énoncé leurs souffrances à vif et avec beaucoup de douleur. D’autres ont vécu certains actes, comme l’épisiotomie ou la césarienne, très souvent considérés comme des violences obstétricales, sans pour autant les ressentir comme de véritables violences mais comme des actes médicaux nécessaires. Puis, une femme, une seule, m’a affirmé haut et clair qu’elle n’avait subi aucune violence ni médicale, ni sociale. Rien. Vous imaginez ! J’ai encore insisté en me disant qu’elle n’avait peut-être pas réfléchi en termes de violence. Non ! Rien ! Nada ! J’étais surprise, puis soulagée et très heureuse pour elle. Des centaines, des milliers de femmes ne subissent pas forcément de violences, ne vivent pas les actes médicaux comme violences, certaines contournent des violences grâce à leurs choix, à leurs circonstances peut-être, et d’autres trouvent les moyens de résister.
Politiquement, il est nécessaire d’en parler et d’exiger des solutions. Mais il ne faudrait pas perdre de vue les expériences des femmes et leurs demandes. Sociologiquement, cette question mérite d’être étudiée en profondeur afin de révéler les engrenages sociaux, économiques et politiques. Médiatiquement, il est possible de rendre plus visible cette problématique et de le faire autrement, sans remettre en question la parole des femmes, en laissant les récits parler (un #Metoo obstétrical ?). En tout cas, j’aimerais, avec cette conclusion qui n’en est pas une, vous proposer un lieu où cette parole est accueillie et relayée, autant que la Bâtarde le peut.
Introduction « Enfanter dans les violences »
Série 1 : « De l’envie d’enfanter (ou pas) au fait accompli… »
Épisode 1 « Quand le(s) passé(s) s’invite(nt) dans la grossesse«
Épisode 2 « Le contrôle du corps gestant »
Épisode 3 « Se préparer à l’accouchement. Contourner les violences ? »
Série 2 : Donner naissance comme expérience violente
Épisode 4 : L’écoute des femmes, ce grand oubli de l’accouchement
Épisode 5 : « Ces femmes (et enfants) qui seraient mort.e.s en couche sans la médecine moderne »
Épisode 6 : Les violences obstétricales comme problème public : quelles réponses politiques ?
Série 3 : La grande (lourde et heureuse ?) délivrance
Épisode 7 : Le post-partum, la violence des séquelles de l’accouchement
Épisode 8 : La violence, c’est nous… mais surtout les autres !