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Défaire l’illusion de la conciliation

Dans ce dossier La Bâtarde a voulu développer une critique qui déconstruit les fantasmes de la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Nous avons procédé en trois temps, selon trois axes qu’il fallait déconstruire. Tout d’abord, La Bâtarde propose un historique du discours sur la conciliation pour montrer à qui il s’adresse et comment il se normalise. Ensuite, à travers de nombreux entretiens, La Bâtarde donne à lire la réalité de la conciliation : l’effacement de la vie privée, les sacrifices demandés et acceptés, les négociations permanentes. Dans ce deuxième axe, les fantasmes se heurtent durement aux récits d’expériences. Enfin, La Bâtarde s’intéresse à la manière dont on parle de l’intime au travail. Qui parle de sa vie intime à qui ? Et dans quel but ? Notre but est de déconstruire l’illusion de la conciliation dans un système capitaliste et hétéropatriarcal, et de plonger dans les modèles développés par les particulières, réfléchis par des collectifs, rêvés par des personnes au bord du burn-out.

La pandémie mondiale a rendu particulièrement difficile la conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle. L’espoir était au changement mais celui-ci n’a pas eu lieu. C’est notre point de départ : questionner cette conciliation tant désirée par un système capitaliste et hétéropatriarcal. Nous avons travaillé dans trois directions, assurant de nombreux échanges au fil de nos recherches et de nos découvertes.

Le premier axe propose de situer historiquement les discours sur la conciliations et de prêter attention à qui s’adressent ces discours. Qui sont les publics visés par les discours de la conciliation ? Majoritairement, ils s’adressent aux femmes mères et/ou en couple hétérosexuel, effaçant ainsi les besoins spécifiques des publics autres (lgbtqi+, situation de migration, origines ethniques, état de santé, etc.). C’est dans une perspective féministe exigeante et attentive à ce qui constitue notre quotidien, c’est-à-dire les conditions d’une vie bonne et épanouissante que les fantasmes de la conciliation sont critiqués. Car en effet, les conditions de la conciliation ne devraient pas être restreintes aux contextes de parentalité, ni répondre seulement aux objectifs du management et de l’entreprise. 

Le deuxième axe de se dossier prend la forme d’une enquête et laisse entendre différentes voix : mamans solo, couples sans enfants, homme célibataire… La diversité des profils montre que les difficultés de concilier la vie professionnelle et la vie intime concernent tout le monde. Chaque situation connait ses difficultés propres, et elles sont loin d’être uniquement économiques. Les discours de la conciliation font comme s’il ne fallait pas prendre en compte les questions économiques. Par exemple, limiter la conciliation à la mise en place d’horaires adaptés pour que les femmes aillent chercher leurs enfants à l’école sans tenir compte de la surcharge réelle. Ou le fait de proposer des mi-temps à des femmes pour qu’elles puissent s’occuper des enfants. Qu’en serait-il d’intégrer enfin le travail domestique et du care comme une partie centrale de nos vies ? Et de ne pas considérer que ces espaces de soin et de bien-être peuvent servir d’espaces tampons, et sauter à la première exigence professionnelle ?

Enfin, le troisième axe porte sur la manière dont on parle de ses amours sur son lieu de travail. La Bâtarde interroge les manières dont les hommes et les femmes parlent de leur vie privée sur leur lieu du travail parce que ces discours sont genrés. Qu’est-ce qui se joue quand on met en scène sa relation amoureuse auprès de ses collègues ? Il n’y a pas de réponse évidente car, à priori, l’intime ne concerne pas l’entreprise ? Et pourtant, il ne cesse d’y être parlé….

Pour traiter de la conciliation, il nous a semblé nécessaire de faire entendre des voix divergentes, de rassembler des témoignages de personnes concerné.e.s, et de regarder en arrière afin de se rendre compte de la réalité concrète des mesures de conciliation. Nous cherchons à tenir compte des vécus. Par exemple, pour certaines femmes en situation de vulnérabilité économique (deux mi-temps), la conciliation est de fait irréalisable. Mais nous voulons aussi interroger l’acceptation de la conciliation alors que le système dans lequel nous vivons est de fait inégalitaire. Serait-il possible d’imaginer d’autres modèles pour arriver à l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Merci à tou·t·es celleux qui ont participé.e à ce dossier ! Et particulièrement à celleux qui ont partagé avec nous un petit bout de leurs vies privés et professionnelles. Nous partageons leur prénom d’emprunt, mais ielles se reconnaitront.

Merci à Amelia, Aline, Carla, Susana, Juliette, Amina, Marie, Antoine, Christine, Sonia, Stéphanie, Salma, Julien, Natalie, Esther, Lise, Amal, Estelle, Hélène, Célestine, Samir, Lætitia, Audrey, Isabelle, Rose et à Francis.

Merci aussi à toutes les chercheuses, écrivaines, militantes, activistes, podcasteuses, bédéistes, féministes et autres « euses » qui guident aussi nos réflexions : Silvia Fédérici, Fatima Ouassak (La Puissance des mères), Maria LLopis (La révolucion de los cuidados), Laura Baena Fernandez (club Malasmadres), Jules Falquet (Pax neoliberalia), Victoire Touaillon (Les couilles sur la table), Charlotte Bienaimé (Un podcast à soi), Rose Lamy (En bon père de famille), Emma (« Fallait demander » et « ça se met où?« ), et tant d’autres.

Dans ce dossier « Défaire les illusions de la conciliation » vous pourrez lire :

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